Loi Programme

Quel mode de développement pour La Réunion ?

La situation réunionnaise n’est pas la situation métropolitaine

4 mars 2003

Des évolutions différentes de société

L’Histoire de La Réunion et de la France sont très différentes. En effet, la première ne compte qu’un peu plus de trois siècles, l’autre plus de vingt. Cette échelle temps est donc importante. Et toutes deux n’ont pas vécu les mêmes événements, ni au même moment, ni de façon similaire. La France est passée d’une société rurale à une société industrielle puis post-industrielle et devient maintenant une société "informationnelle". À l’époque industrielle, l’accumulation du capital se réalisait par la production de biens, à l’époque post-industrielle, elle se fait par la production de services. Et maintenant, dans cette société "informationnelle", cela se traduit plutôt par le contrôle de l’information et du savoir.
À La Réunion, la société a été rurale pendant très longtemps (malgré la jeunesse de la société réunionnaise), en le restant toujours un peu. Il n’y a pas eu réellement de société industrielle, car il n’y a pas eu vraiment de production de biens, et La Réunion est entrée directement - et dans une période extrêmement courte - pratiquement conjointement dans la société post-industrielle et "informationnelle". Ce qui s’est fait en France pendant plusieurs siècles n’a mis que quelques décennies à La Réunion. Les bouleversement ont pu être "assimilés" (plus ou moins bien) en France, alors qu’ils ont plutôt "déstabilisé" la société réunionnaise, créant un fossé de plus en plus grand. Une fracture sociale, dirait-on.

Une fracture sociale différente

Après la deuxième guerre mondiale, en Europe et dans le monde, les progrès techniques et scientifiques ont "profité" essentiellement aux pays riches, aux pays européens de l’Ouest. Ceux de l’Est ont commencé à prendre du retard. Quant au tiers-monde, il a été pratiquement exclu de ce bouleversement.
Et à La Réunion, ces différences se sont toutes retrouvées. Le premier monde, celui qui concentrait les richesses et le pouvoir, a pu profiter de toutes les avancées techniques et technologiques ; le deuxième monde, qui vivait dans des conditions de pauvreté extrêmes, en a été largement exclu. Et au milieu, les couches moyennes, ont pris un peu de retard. La fracture sociale est plus importante à La Réunion qu’en France. Cela se traduit, par exemple, en termes de pourcentage de chômage, d’attributaires du RMI, etc.

Des situations démographiques opposées

La France a terminé - et depuis longtemps - sa transition démographique. L’avenir ne se pose pas dans les mêmes termes qu’à La Réunion (voir encadré). À l’horizon 2020/2025, La Réunion devra accueillir près de 250.000 habitants de plus qu’actuellement, soit la totalité de la population que La Réunion comptait en 1946. La pression sur le marché du travail va s’accroître considérablement : la population active de l’île, vers les années 2020/2025, comptera entre 120.000 et 160.000 personnes de plus. Ainsi, pour résorber le chômage et faire face à ces nouveaux demandeurs d’emploi, ce sont près de 200.000 emplois nets qui devront être créés durant cette période.

Des flux économiques différents

Lorsque le gouvernement effectue des transferts financiers dans une région ou un département français, les sommes versées restent dans ces régions ou départements. Ce qui n’est pas le cas à La Réunion. La même logique est applicable aux crédits européens. On pourrait dire que ces flux financiers, tant français qu’européens, créent un marché artificiel dans l’île, car ils ne servent pas - tout du moins, dans leur majorité - au tissu productif réunionnais. Ils profitent à des sociétés françaises qui exportent ici leurs productions.
En effet, le marché réunionnais est assez solvable. Donc l’argent repart, en grande partie, vers la France. Ou l’Europe. Une petite partie seulement reste dans l’île. Un circuit aux effets pervers, un cercle vicieux.

Un environnement régional différent...

L’environnement géographique de La Réunion se constitue de pays dont la grande majorité appartiennent à ce que l’on appelle les pays ACP (Afrique Caraïbes, Pacifique). Ces pays ACP ont signé des conventions avec l’Europe, et la conséquence est que leur marché est relativement protégé. Comme La Réunion est "intégrée" - même si le mot peut être remis en cause - à l’Europe, elle ne peut donc prétendre aux mêmes "avantages". Par ailleurs, les pays de la zone se sont regroupés dans différentes structures qui ont pour nom : IOR (Indian Ocean Rim), COMESA ou SADC. En schématisant fortement, on peut dire qu’ils ont créé les conditions d’un codéveloppement intéressant pour eux. Et La Réunion n’y est pas.
En France, les régions frontalières ne subissent pas le même cas de figure : elles "travaillent" avec des pays qui, pour quasiment la totalité des cas, ont intégré l’Europe. Les règles du jeu sont donc totalement différentes, entre n’importe quelle région française ayant une frontière avec un autre pays et La Réunion.

... avec des pays beaucoup moins développés

À cet environnement régional différent, concrétisé par des systèmes dont La Réunion est exclue, il faut ajouter la différence de développement des pays voisins. Les pays riverains de la France ont, grosso modo, le même niveau de développement, avec des pouvoirs d’achat relativement égaux.
Ce qui est loin d’être le cas de La Réunion. En effet, les pays riverains de notre île appartiennent à la sphère des pays en voie de développement ou à celle des "PMA" (pays les moins avancés). Les coûts de production dans ces pays sont nettement inférieurs à ceux de La Réunion. On ne peut donc pas "lutter" à armes égales. Les mesures prises dans la loi-programme (défiscalisation et exonérations ou allégement des charges sociales) ont pour objectif de faire baisser le coût du travail à La Réunion. Mais, quelle que soit l’importance de ces mesures prises, elles ne suffiront pas : l’écart est trop important pour que les entreprises réunionnaises soient compétitives par rapport aux entreprises mauriciennes, malgaches...

D’où un mode de développement à imaginer

Toutes ces différences ne peuvent mener qu’à un seul constat : le mode de développement tel qu’il a été conçu à Paris et traduit dans les différents documents (loi d’orientation et aujourd’hui loi-programme), ne peut s’appliquer à La Réunion. Mais c’est toujours avec les schémas métropolitains que les décideurs parisiens appréhendent l’outre-mer en général et La Réunion en particulier. En clair, quand les maux sont différents, les remèdes ne peuvent être les mêmes.
Quand bien même La Réunion reproduirait les schémas mondiaux, elle ne peut s’appuyer sur ce qui est fait dans ces pays, quels qu’ils soient. Car ils ne connaissent qu’une partie de la situation réunionnaise. On ne doit pas copier ce qu’ils font, mais il serait également stupide de ne pas étudier ce qu’ils ont fait et ce qu’ils font. On doit inventer.
« Nous devons bannir le rêve d’un développement traditionnel », soulignait Paul Vergès, lors de la réunion plénière du Conseil régional, consacré à l’étude de la loi-programme. « Nous sommes condamnés à un mode de développement qui ne correspond à aucun modèle historique », précisait-il. « Condamnés à trouver un mode de développement correspondant à la situation économique et sociale de La Réunion d’aujourd’hui, et créateur d’emplois ». Puisque les instances parisiennes « manquent d’imagination » pour reprendre les propos du président du Conseil régional, c’est donc depuis La Réunion qu’il faut les trouver. Et, ce qui ne sera pas le plus facile, les faire admettre à Paris.

Les études de l’INSEE sur la population française
« La France compte 61,4 millions d’habitants au 1er janvier 2003. En 2002, les naissances ont diminué par rapport à 2000 et 2001 : les femmes mettent au monde en moyenne autant d’enfants que les années précédentes, mais elles sont moins nombreuses. L’espérance de vie à la naissance se stabilise pour les femmes et progresse pour les hommes. Dans trois articles (parus en décembre 2002), l’INSEE a travaillé sur les enjeux d’un des aspects les plus marquants de ces projections : le retournement de tendance de la population d’âge actif et s’est intéressé à l’un des facteurs qui seraient susceptibles de freiner ce mouvement - la remontée des taux d’activité aux âges élevés - et aux conséquences de cette nouvelle donne démographique pour le fonctionnement du marché du travail.
Quelles que soient les hypothèses formulées sur la fécondité, la mortalité et les migrations, la croissance de la population métropolitaine sera assurée jusqu’en 2025, mais à un rythme annuel moyen inférieur à celui observé au cours des 50 dernières années. En 2050, la France métropolitaine comptera de 58 à 70 millions d’habitants selon les différents scénarios retenus.
À cet horizon, plus du tiers de la population sera âgée de plus de 60 ans, contre une sur cinq en 2000. La part des plus de 60 ans dans la population totale sera plus élevée que celle des moins de 20 ans dans tous les cas. Les femmes seront toujours plus nombreuses aux âges élevés, même si l’écart d’espérance de vie entre les hommes et les femmes diminue.
Le nombre de personnes en âge de travailler diminuera, lui, dès 2006, les premières générations du baby-boom atteignant l’âge de la retraite à partir de 2005. Le poids relatif des personnes les plus âgées par rapport aux personnes en âge de travailler augmentera de manière significative dans toutes les hypothèses.
Les principaux pays européens seront également confrontés, à des degrés divers, au vieillissement, voire à la baisse de leur population au cours de cette période. L’Europe des Quinze pourrait ainsi compter 10 millions d’habitants en moins en 2050. Toutefois, la part de la population française dans cette population augmenterait légèrement, passant de 15,7% en 2000 à 17% en 2050. Du fait de son vieillissement démographique, la France, comme ses voisins européens, va devoir faire face au ralentissement de la croissance de sa population active dans les années à venir, voire à une diminution.
Depuis la fin des années 1960, la croissance de la population active reposait sur le socle des générations nombreuses du baby-boom de l’après-guerre. Le prochain départ à la retraite de ces générations va assécher le moteur de cette croissance, ce qui amène à s’interroger sur le niveau et la composition des ressources en main-d’œuvre dont disposera la France à l’avenir.
En prolongeant les tendances passées en matière de fécondité, de mortalité, de migrations et de comportements d’activité, et dans l’hypothèse d’un contexte économique et institutionnel stable, un retournement progressif à la baisse de la population active interviendrait autour de 2006-2008. Avec un effectif plafond de 27 millions d’actifs à cette date, la croissance de la population active ne reposerait plus que sur l’augmentation prévisible de l’activité des plus âgés, le développement de l’activité féminine ne dégageant que peu de marges de progression. Au-delà, les ressources en main-d’œuvre pourraient être durablement inférieures au niveau actuel, retrouvant à l’horizon 2050 celui atteint il y a 20 ans.
Par rapport à cette projection tendancielle de la population active, une inflexion à la hausse des variables démographiques les plus importantes dans l’évolution de cette population comme le taux de fécondité ou le solde migratoire pourraient avoir des conséquences importantes. L’impact d’une remontée de la fécondité ne jouerait néanmoins qu’à long terme. Face à d’éventuelles pénuries de main-d’œuvre, une remontée de l’âge effectif de cessation d’activité aurait l’impact le plus considérable ».
LODEOM - Loi d’orientation pour le développement de l’Outre-mer

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