« À Rebours », roman néo-impressionniste (3)

26 avril 2018, par Jean-Baptiste Kiya

D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme par Paul Signac (introduction et notes par Françoise Cachin), éditions Hermann, collection Savoir arts.

Le lien n’avait pas échappé pas aux contemporains : dans le Figaro du 2 septembre 1891, Josephin Péladan, dit le Sâr (1858-1918), énonçant les principes du Salon de la Rose + Croix du Temple, précisait que Seurat, près de mourir, s’était écrié : « Huysmans m’a perdu ».
Outrecuidance de vouloir faire parler les morts à part, l’évocation tançait davantage la crudité du réalisme d’un des maîtres de Sedan que le coloriste patenté.
1884, l’année de publication d’À Rebours, correspondait avec l’exposition de La Baignade à Asnières de Seurat, et voyait la fondation de la Société des Artistes indépendants.
Précurseur de l’impressionnisme scientifique, Georges Seurat (1859-1891), avait jeté les bases de sa méthode dès 1882. Dans sa préface “20 ans après” intégrée en 1903 à la publication de son roman À Rebours, dans un exercice assez complaisant, Huysmans reconnaissait avoir voulu “briser les limites du roman, y faire entrer l’art”.
En dépit de l’évidence, le singulier roman n’évoquait pas seulement l’art de Goya, ses proverbes, ou la Salomé de Moreau (chap. V), les estampes de Jan Luyken, la peinture de Redon, ou du Greco : était mise en œuvre une méthode, une analyse, une démarche typiquement picturale et contemporaine.
Dans une lettre à son fils Lucien du samedi 8 mai 1886, Camille Pissarro relatant un dîner « avec les impressionnistes » où Duret côtoyait Burty, Moore, Mallarmé, et Monet, met l’accent sur une évidence : « J’ai beaucoup parlé à Huysmans, il est très au courant de l’art nouveau, très désireux de rompre les lances en notre faveur » : à savoir en faveur du Divisionnisme. Très informé des méthodes, des procédés et des enjeux de cette nouvelle école, l’auteur, désireux de se mesurer par la plume aux artifices du pinceau de ses contemporains, en avait imprégné son roman. Ne reconnaissait-il pas dans sa correspondance : “La plume peut lutter avec le pinceau et même donner mieux” ?
Telle ou telle description relevée montre le caractère imitatif du roman : “tout en haut à l’horizon, les églises et la tour de Provins semblaient trembler au soleil dans la pulvérulence dorée de l’air” : n’entre-t-elle pas concurrence avec la manière paysagiste de ‘l’art nouveau’ dont Pissarro se réclamait ?
Ce divisionnisme prôné par Seurat, appliqué par ses amis Angrand, Signac, Dubois-Pillet, Pissarro ou Luce, consistait, suivant les découvertes des recherches optiques, à juxtaposer de petites taches de couleurs primaires sur un fond blanc afin de produire par accumulation et mélange optique l’effet lumineux voulu ; recréer la vibration de la lumière était l’enjeu. Le mélange des couleurs les obscurcissant, l’usage du contraste simultané permettait un éclaircissement remarquable de la figuration par une vibration des teintes juxtaposées. Le résultat de ces recherches et pratiques fut colligé plus tardivement en 1899 dans un livre, D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme ; l’auteur, Signac, avait été qualifié par Huysmans de “coloriste enragé” - mais ne l’était-il pas lui-même ?
À la manière du paysagisme néo-impressionniste, le personnage d’Huysmans, Des Esseintes, réalise une composition usant de touches olfactives, cette fois, suivant en cela le principe de la synesthésie engagé par Baudelaire. Les touches mis bout à bout formant un paysage odorifère :
« Avec ses vaporisateurs, il injecta dans la pièce une essence formée d’ambroisie, de lavande de Mitcham, de pois de senteur, de bouquet, une essence qui, lorsqu’elle est distillée par un artiste mérite le nom qu’on lui décerne, ‘d’extrait de pré fleuri’ ; puis dans ce pré, il introduisit une précise fusion de tubéreuse, de fleur d’oranger et d’amande, et aussitôt d’artificiels lilas naquirent, tandis que des tilleuls s’éventèrent, rabattant sur le sol leurs pâles émanations que simulait l’extrait du tilia de Londres.
Ce décor posé en quelques grandes lignes, fuyant à perte de vue sous ses yeux fermés, il insuffla une légère pluie d’essence humaines et quasi félines, sentant la jupe, annonçant la femme poudrée et fardée, le stéphanotis, l’ayapana, l’opopanax, le chypre, le champaka, le sarcanthus, sur lesquels il juxtaposa un soupçon de seringa, afin de donner dans la vie factice du maquillage qu’ils dégageaient, un fleur naturel de rires en sueur, de joies qui se démènent au plein soleil. »
Il passa le ventilateur dessus, « alors sur l’horizon enchanté, des usines se dressèrent, dont les formidables cheminées brûlaient, à leurs sommets, comme des bols de punch.
Un souffle de fabriques, de produits chimiques, passait maintenant dans la brise qu’il soulevait avec des éventails et la nature exhalait encore, dans cette purulence de l’air, ses doux effluves ».
La Baignade à Asnières (de Seurat) se déroule sur fond de cheminées d’usines fumant ; nombreux sont les néo-impressionnistes de cette génération à chercher des paysages de faubourg avec en arrière-plan les usines de la ceinture : Van Gogh, Pissarro, Luce, Angrand avec ses “Terrains vagues”, sa “Ligne de l’Ouest”… La méthode néo-impressionnisme appliquée par Des Esseintes se réalise non sur le plan visuel, mais sur un plan olfactif, en vertu de l’application de la synesthésie baudelairienne, nous l’avons indiqué.
D’autres composantes néo-impressionnistes affleurent dans le célèbre roman, qui tient de l’imitation et même de la parodie à maints niveaux - Huysmans ne cherchait-il pas déjà des “transpositions d’art”, notamment dans ce désir de couleurs qui fait l’éclat du chapitre de la tortue ?

Jean-Baptiste Kiya


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