Au cadran de ma montre (3)

5 août 2018, par Jean-Baptiste Kiya

Qui a tué mon père d’Edouard Louis, éditions du Seuil (12 € en France ; 13,80 € à La Réunion).

L’horloge de l’aérogare s’est arrêtée. Les aiguilles se sont pliées et ne font plus même semblant de bouger. La trotteuse s’est figée sur un “tac” énorme, continu, résonnant. C’est une petite fée qui vient de Paris qui a tout bloqué, elle est l’origine et la fin de ce prodige renouvelé.
Je comprends que le cadran de ma montre ne me montre rien de moins que le reflet mort du temps…
Le XIXe siècle a fait le passage de la barbarie à l’industrialisation de la barbarie ; le XXe siècle a été le siècle des Lumières effacées ; à quoi ressemble ce XXIe, ce XXIe siècle en passe de devenir celui de la fausse nouvelle, du faux-semblant, du dévoiement et du rampant ?
Sur un strapontin digne du métro parisien, je me berce à mon propre chant :

À force de vouloir toujours être à l’heure
On finit par confondre les pales du moteur
Avec les pulsations de son propre cœur.

Tout le temps est là, devant moi. Mayotte, avril 2006. Je revois les mots de la grosse de jugement qui précisait que la pension alimentaire à verser pour l’épouse courait jusqu’à ce qu’elle ait trouvé un travail. Le rapport de l’enquêtrice sociale venait officialiser ce travail. J’interrompis le versement. Quelque temps plus tard, je fus prélevé à la source, je supposais que c’était parce que Madame ne faisait pas un plein temps (ses déclarations étaient d’ailleurs sur ce sujet variables). J’appris de l’huissier en fait que Madame avait fait une déclaration sur l’honneur qu’elle ne travaillait pas… Mayotte, c’est le far-west de la France.
D’ailleurs que valaient ces heures et ce contrat de travail ? L’enquêtrice sociale ne précisait pas que l’employeur était en réalité son amant, qu’elle était enceinte de lui, et qu’elle vivait à son domicile, tandis qu’elle avait déclaré à l’enquêtrice occuper un studio dans lequel elle n’habitait pas… Cela fut constaté par la présidente de l’association Agir Ensemble. L’amant en question s’était arrangé avec une collègue pour mettre le contrat de location à son nom de l’épouse. Je demandais une nouvelle enquête, le juge ne prit pas la peine de me répondre. La Justice qui d’ordinaire voit si clair demeurait là aveugle.
Attendu que j’avais déclaré vouloir quitter Mayotte, abandonnant la dernière prime, du fait que j’étais harcelé par mon ex-épouse, le juge changea la garde de l’enfant. Ce que ne déclara pas Madame à l’enquêtrice sociale, c’est qu’étant enceinte, son amant, fonctionnaire, allait lui aussi quitter l’île pour une destination que j’ignorais également. La justice ne retient que les vérités qu’elle souhaite en les sacrant.
Un divorce est une partie de poker menteur, avec bluff et cartes dissimulées, cela non seulement par les délais de traitement des dossiers et couvert par un système judiciaire pourri. À la façon d’un jeu d’enfant, la règle qui gère ces procédures est celle-ci : le premier qui dit la vérité a perdu.
Un nouveau jugement ordonnait le ‘déplacement’ de l’enfant et fit passer la pension alimentaire de 700 à 200 euros. Un clerc d’huissier dans son étude, à Mamoudzou, rédigea une lettre de main levée en direction de l’établissement payeur, l’Education nationale. La lettre n’arriva jamais. À la perte affective que causa le changement de garde de l’enfant, à la défaite morale de la justice qui non seulement couvrait mais récompensait le mensonge et le montage, venait s’ajouter la perte financière. À qui la faute ? À personne, bien entendu, aucun remboursement, jamais. Aucune excuse ni de l’institution, ni du clerc d’huissier, qui comme par hasard, fut nommé par la suite assesseur. J’ai tout lieu de penser que, depuis, ses courriers à chaque coup ne manquent pas d’atteindre leur destination. Mayotte, c’est le Far-west de la France. Ce Monsieur obtint donc la même promotion que Mme la présidente de l’association Agir Ensemble dont le silence en dit long… Et tandis que ce monde-là était promu, je vécus pour ma part une véritable déchéance de paternité, non en droit, bien sûr - non officialisée-, mais en faits.
Je ne parle pas de sentiments, je parle de faits.
En Guyane, je n’eus aucune nouvelle de ma fille, aucune adresse, aucun numéro de téléphone. Silence total. Tout lien avec ma fille fut rompu, hors le droit de verser la pension. C’est par l’annuaire électronique que je trouvai ces coordonnées. J’ai tenté de la joindre, en vain. Non pas de manière intempestives, mais raisonnée, 2 fois par semaine, le ‘jour des enfants’, le mercredi, et le dimanche, en soirée, à 19 heures, heure locale. Je l’eus une fois, sa mère me la passa : ma fille me parla longuement, et termina par une plainte déchirante que je ne comprenais pas. J’ai déposé des plaintes en cascade pour entrave à la communication avec mon enfant. Pour appuyer mes assertions, je suis allé acheter un MP3, je l’ai collé au portable pour enregistrer mes tentatives : j’indiquais clairement avant de lancer l’appel le jour, l’heure, et le numéro appelé, avant de tomber sur l’éternel refrain du répondeur. Je gravais bout à bout ces tentatives sur CD-Rom pour le joindre à mes plaintes en direction du procureur, des JAF. Combien de fois ? J’eus en retour le silence, pas même auditionné en gendarmerie, alors qu’on l’est beaucoup plus, dès qu’on est chroniqueur littéraire, pour des motifs plus futiles.
Le beau-père que j’avais fini par avoir au téléphone m’indiqua qu’il s’opposait à ce l’enfant me parle car je la rendais “langoureuse”. Langoureuse était son mot. Tu parles après avoir vécu avec la petite une année et demi, alors qu’elle était nourrisson, ce n’était pas rien pour cette enfant, ce n’était pas rien pour nous… Il faut le préciser, c’était une époque où l’i-phone, les chaussures Addidas et les vêtements Nike ne signifiaient rien pour elle…
Et dire que le beau-père était professeur agrégé à l’ancienneté de l’éducation nationale, et conseiller pédagogique auprès du vice-recteur. Qu’ils viennent me parler, ces gens-là, de “l’intérêt supérieur de l’enfant”. Ils mâchouillent des mots dont ils ne savent pas même la signification qui ne leur servent qu’à remplir leur portefeuille.
En novembre 2009, n’ayant plus de contact avec l’enfant, la pension alimentaire fut envoyée directement au bureau du procureur. Résultat : prélèvement à la source bis. Il n’y a que l’argent qui compte pour cette clique.
En janvier 2010, je formulais une demande avec pièces jointes en direction du président de l’assemblée nationale : à savoir mettre à l’ordre du jour l’abrogation des alinéas 2 et 3 de l’article 373-2, de l’alinéa 3 de l’article 373-2-1 du Code civil et de l’article 227-6 du Code pénal, pour non application manifeste de ces lois, malgré des appels répétés à ce qu’elles le soient. Cela fut envoyé au Parlement où siégeait l’avocat qui naguère avait traité l’affaire… L’hypocrisie est le principal moteur des institutions.
L’agrégé-conseillé-pédagogique m’écrivait ceci : “je vous rappelle que la résidence d’X a été fixée à notre domicile, qu’à ce titre elle est sous notre entière responsabilité, que nous n’avons aucune obligation de vous rendre compte en permanence et en détail de nos moindres faits et gestes et encore moins d’être à votre disposition aux heures que vous avez choisies”… Selon toutes évidences, je n’étais pas destinataire de cette caricature. J’avais et j’ai toujours un unique téléphone portable à carte, de Guyane je ne pouvais appeler qu’un maximum de 15 minutes ; compte tenu du décalage horaire, j’appelais à midi. Si 2 fois par semaine, c’est trop, ce monsieur est barge ; si les horaires ne lui convenaient pas, soit 19 heures à La Réunion, j’étais à sa disposition pour en changer… Quant à être “en permanence et en détail” au courant “de leurs faits et gestes”, je n’attendais simplement à ce qu’ils m’indiquent leurs déménagements - ce n’est pas grand’chose mais ce pas grand’chose ne fut pas réalisé par deux fois… J’ignorais jusqu’alors qu’être agrégé, conseiller pédagogique voulait dire infatué, caricatural et menteur.
Tandis que ma mutation pour La Réunion leur avait été signifiée, dans le but de me rapprocher de mon enfant. Le 1er avril 2010, Madame m’annonçait oralement son départ pour Mayotte. Je lui demandai une confirmation écrite que je n’obtins pas ; par un courrier en date du 4 avril, je réitérai ma demande auprès du service administration du personnel du rectorat de La Réunion. Que pensez-vous qu’il arriva ? Rien. Aucune nouvelle. Ces gens-là s’en fichent comme une guigne. Vous n’existez que quand ça leur chante.
On peut toujours aller “chercher” les juges, la justice française ; comme Macron, ils demeurent inatteignables et hautains - hautains parce qu’inatteignables. La justice française le proclame d’elle-même - elle le dit, elle le montre-, elle n’est qu’une immense et sinistre pantalonnade.
Il y a bien un passage du dernier livre d’Edouard Louis qui s’applique à ce ‘fonctionnement’, il convient simplement de substituer le mot justice à celui de politique. “C’est eux qui font la justice alors que la justice n’a presque aucun effet sur leur vie. Pour les dominants, le plus souvent, la justice est une question esthétique : une manière de se penser, une manière de voir le monde, alors que pour nous, c’est vivre, ou mourir”.

Jean-Baptiste Kiya

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