Charles Angrand et Joris-Karl Huysmans (1848-1907)

25 janvier 2018, par Jean-Baptiste Kiya

Écrits sur l’art (L’Art moderne (1883), Certains (1889), Trois primitifs (1905)) par J.-K. Huysmans, en GF.

“En peinture, le mot n’existe pas”, fait figurer en majuscules, à l’huile, sur une toile de 60, un artiste contemporain. Hésitations, atermoiements. Certains objectent qu’il ne s’agit pas d’une ‘peinture’, au sens plein et artistique du terme – à moins que ce ne soit pas des mots, mais un entrelacement plus ou moins harmonieux de couleurs et de formes - et au fond, peu importe le sens… Toujours est-il qu’en peinture, le mot n’existe en effet pas, comme la pipe, nous rappelle Magritte, qui sur une toile n’en est pas une, mais une représentation de pipe - ce qui n’est pas la même chose. Il est vrai toutefois et ironiquement que l’artiste se servait aussi de mots pour l’exprimer.

Convenons avec l’universitaire Aude Jeannerod que “Les arts plastiques, témoins de l’universelle analogie, mobilisent un réseau de correspondances dont l’économie particulière ne peut être rendue en mots”.

À une époque où la représentation de l’art n’a jamais été plus médiatisée, et où les manifestations artistiques n’ont fait jamais l’objet d’un tel battage, ce fractionnement, cette distorsion entre deux expressions de biais et de subjectiles différents, plus encore quand celui-ci converge vers celui-là, provoque une méfiance certaine de la part des artistes plastiques. Angrand en témoigne.

Une lettre adressée au peintre Maximilien Luce en date du 10 mars 1924 reconnaît : “Je pense comme vous que tous ces gars qui font des papiers fort inutiles : ils n’ont pas l’éducation de l’œil - et se réfugient dans la littérature. Ils entrent dans le maquis où ils buissonnent des phrases.” Pour conclure : “Faut lire Salmon pour juger de la sottise où ils arrivent”…

- Désabusement tardif d’un artiste né au siècle précédent dépassé par son époque qui reniait une critique qui ne lui était pas favorable ? Constante plutôt, puisque dès 1898, le néo dénonce dans une lettre à Charles Frechon, la critique d’art qui “voit la peinture en littérateur - et ils en sont tous là”, pour en excepter sitôt fait l’article qu’il vient de lire dans le journal l’Écho de Paris : “cette fois l’étude était de main d’analyste (précise-t-il). Je l’ai très appréciée”. L’auteur de ce papier qui détaillait la Descente de Croix de Quentin Metsys, n’était autre que celui qui évoquait ses toiles accrochées aux Indépendants onze ans plus tôt : l’écrivain et salonnier Joris-Karl Huysmans.

L’ambiguïté du positionnement face à la littérature d’art exprimée ici n’est pas le seul fait d’Angrand, elle est partagée par les artistes de la génération précédente : Pissarro à l’endroit de Huysmans hésitait entre la satisfaction d’avoir trouvé un juste juge et la crainte qu’il ne s’agît que d’un “littérateur”. Gauguin, lui, il estimait que le critique se trompait “d’un bout à l’autre”…

La tension entre le texte et l’image, entre le critique qui parle de l’image et l’auteur de l’image, entre le discours et la praxis, trouvait son apogée en 1878, lorsque la querelle versa sur les planches d’un tribunal, comme ce fut le cas à l’occasion du procès que le peintre Whistler intenta au critique Ruskin pour avoir déclaré qu’une de ses toiles était un “pot de peinture jeté à la face du public”. Angrand quand il visite au Luxembourg en juin 1905 l’exposition consacrée au peintre anglais, n’est pas sans ignorer l’affaire, alors que Mallarmé avait traduit 10 années au préalable la conférence “Ten O’Clock” par laquelle l’artiste stigmatisait la critique qui “dégrade l’art en y voyant une méthode pour aboutir à un effet littéraire”.

Un focus sur la Correspondance de quarante années montre néanmoins qu’Angrand est en quête constante de littérature d’art. S’il collecte les articles qui couvrent ses travaux, comme il s’en ouvre à son ami Dezerville, en 1899 où il évoque son “bloc de feuilles”, - lettré, il n’en est pas moins sensible aux écrits qui portent sur l’esthétique.

Parmi les articles de presse collectés, certains montrent en creux les échanges qu’il eut avec les journalistes. Parmi eux, un certain nombre lui sont acquis, les critiques amis : Jean Le Fustec, Napoléon Roinard, Gustave Kahn, Félix Fénéon, Christophe.

Le journalisme d’art alimente sa réflexion et les échanges qu’il entretient avec ses camarades, comme elle influe sur la maturation de son travail.

L’appétence qu’il manifeste à cette lecture ne se cantonne pas qu’aux publications ou aux articles spécialisés : la liste d’abonnés au trimestriel de Paul Fort, “Vers et prose (Défense et illustration de la haute littérature et du lyrisme en prose et en poésie)”, qui publie Claudel, Barrès, Francis James, Paul Adam ou Jean Moréas, le fait figurer à deux reprises au moins, en septembre 1905 et mars 1907, et montre que la littérature vers laquelle son goût tendait, la symboliste, constituait un des ferments de sa création artistique.

Le nom de Huysmans réapparaît dans la Correspondance publiée de l’artiste, outre le courrier de début mars 1898 à Charles Frechon, deux ans plus tard, en mai 1900, dans une lettre adressée à Paul Signac par laquelle Angrand détaille l’avancée de son rideau de scène de la salle des fêtes de Saint-Laurent. Il finit sa lettre par un mot de Huysmans : « Voilà enfin l’occasion de vous rappeler nos études d’antan : les voiles blanches en vue du pont, sur l’eau bleue et que Huysmans frappé à la rétine disait de vous joliment : il emmarseille Asnières !! ». Citation extraite de l’article de “La Revue Indépendante” par lequel Huysmans couvrait l’exposition de la Société des artistes indépendants de 1887, où Angrand avait accroché 4 œuvres (un Coin de ferme, Le Paysan, L’Inondation à la Grande Jatte et l’Accident) aux cimaises du Pavillon de la Ville de Paris.

Après la publication d’A Rebours, Huysmans abandonne progressivement ses comptes rendus de salon au profit d’essais et de “transpositions d’art”, il renoue comme l’indique Dario Gamboni avec les ‘croquis et eaux fortes’ d’après les maîtres hollandais par lesquels il se propose de montrer que ‘la plume peut lutter avec le pinceau et même donner mieux”, comme il le reconnaît dans une lettre à Marcel Batillat. C’est l’enjeu de l’article portant sur le triptyque de Quentin Metsys.

Jean-Baptiste Kiya


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