C’en est trope !

De la Liberté comme passion suprême

5 mai 2011

Drôle de destinée que celle de ce fils de marchands de chandelles, doué pour le commerce, pris à la politique et qui se mêle de littérature. De la chandelle, il gardera son entêtement à y voir clair dans la nuit la plus noire de son siècle, prêt à se laisser éblouir par les illuminations de son cerveau. Jeune auteur, la satire politique qu’il rédige à la hâte “Le Plus Court Moyen d’en finir avec les opposants” le voue au pilori. Inatteignable et ironique, il rédigera à la hâte un “Hymne au pilori”. Jusqu’au travers des barreaux de sa prison, il illumine.

“Échappée belle” est son premier essai littéraire : Robinson Crusoé vante le bon sauvage et le droit naturel, tel qu’il ravira Rousseau. La description de l’utopie de “Libertalia”, extraite de son "Histoire Générale des plus Fameux Pyrates" est pareille robinsonnade, mais inscrite dans les travaux journalistiques de l’auteur. Tout est d’une écriture dense, sans dialogue au rythme lent et implacable, c’est déjà une haute mer qui se déploie. Histoires de folies sur une mer calme.

Les temps modernes n’ont pas renié l’esprit de Jolly Roger, la piraterie opère avec plus ou moins de bonheur dans la geste des graffeurs, ou des hackers ; on pense à Assange ; on songe aux enseignants désobéissants, aux anti-OMG, ou à certains petits éditeurs à l’instar de celui qui s’est prêté à sortir ce texte à vil prix et dont le nom évoque irrésistiblement le refrain d’une chanson “les Frères Jacques”, “L’Esprit frappeur”.

Qu’ont-elles frappé, ces éditions pirates en effet prenant le large, libres d’une liberté pleine de vents, prêtes à saborder dogmes et lieux communs, à partager butins et découvertes, à faire escales aux îles ? Un catalogue conquérant et risqué où il est consacré une collection au colonialisme, rééditant le Code Noir, ils publient un instructif “Calendrier des crimes de la France outre-mer” ; dénoncent le rôle de la France dans le génocide rwandais, s’insurgent contre les conditions de détention en France, s’attaquent au nucléaire, bref fondent sur toutes les questions qui gênent. Il ne leur manque plus qu’une collection fictionnelle de haute bordée.

“Libertalia” décrit une aventure sans précédent, et forme rapidement un livre pirate. D’abord
le lecteur prend acte du paradoxe de la piraterie : la contradiction à ceux qui aspirent à la
liberté et qui s’enferment pour cela sur une coque, au milieu des mers, pour ainsi dire au
milieu de rien. Comme toute bonne aventure flibuste, il s’agit d’une expédition sans retour.
Le navire de trente canons Le Victoire au sommet du règne de Louis XIV jette le drapeau
France à l’eau. Le capitaine Misson et le défroqué Carraccioli, auxquels viendra se joindre
l’audacieux Tew, en prennent le commandement. À cette époque, les avancées sur mer
ressemblent à des avancées de l’esprit. Le navire devient république flottante. « Ils avaient
eu le courage de proclamer leur liberté »,
écrit Defoe : ils commencent par rompre tout lien
qui pourrait les entraver, à commencer par celui qui les reliait à la nation :
ils travaillent pour leur propre compte, a contrario de cette humanité qui « danse sur la
musique de ses propres chaînes ». Et la première de ces chaînes, c’est la nation. C’est aussi
la peine de mort, l’esclavage. Ce qu’on ne peut plus faire sur terre, on peut le faire sur mer.
Chaque prise de navire négrier est l’occasion de libérer davantage. Le butin n’est constitué
que des marchandises, le fret, et non des effets personnels. On l’a compris, si l’aventure est
Sécessionniste, elle est aussi positive.

Français, Italien et Anglais, ils vont jeter les bases d’une société nouvelle en baie de Diego
Suarès (Antsiranana) à Madagascar, dans une enclave protégée. Noirs et Blancs s’y côtoient
sur un même pied, l’égalité est proclamée : « Malgré les différences de couleur, de coutumes
ou de rites religieux qui distinguaient ces hommes des Européens, ils n’en étaient pas moins
l’oeuvre du même Être tout-puissant ».
S’y forge une sorte d’espéranto, un créole. Chacun y
travaille pour le bien commun, et est soumis au vote. « Trésor et bétail furent également
divisés et chacun se mit à délimiter ses terres ou celles du voisin qui réclamait de l’aide »,
cela au temps de la monarchie. Aussi l’auteur d’ajouter : « il était nécessaire pour eux de
vivre en parfaite unité, puisqu’ils avaient le monde entier pour ennemi ».

Étonnant récit qui se clôt par un mémorandum vantant les richesses malgaches et la bêtise de
ses naturels afin d’inviter certainement les Anglais à coloniser... Defoe n’aura pas suivi ses
modèles jusqu’au bout. Demeure un récit admirable pour ceux qui ressentent la fièvre pirate.

Jean-Charles Angrand


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