Droit du sol ou droit du sang, mais quel sang ?

10 mars 2011

Sur les traces de “Plateforme” de Houellebecq, Charles Masson, dans “Droit du sol”, traite du tourisme sexuel. Il évoque de surcroît le crash civilisationnel, le choc des sociétés. Le roman graphique qu’il nous propose, délibérément engagé, se déroule à Mayotte, confetti de l’empire colonial, et a pour mérite de poser, en titre même, le problème de ce que l’on appelle — mais les mots sont traîtres — « l’immigration clandestine ». Une immigration clandestine, alors que toutes les familles « mahoraises » ont des liens de parenté avec les habitants des îles voisines... Femmes qui viennent accoucher sur le sol mahorais, afin de bénéficier des droits français. Droit du sol, mais ce sol n’est-il pas aussi le leur ? Alors, montre l’auteur dessinateur, la politique change, on remplace le droit du sol par le droit du sang. Et là, on découvre que tous les sangs ne se valent pas.

Femmes alors qui, attirées par le sang occidental, se prostituent ou font un gosse, ou se casent à grands frais avec de vieux hommes occidentaux qui se rêvent une seconde jeunesse, toute artificielle. Le problème que ce roman soulève alors est celui de la relation entre autochtones et allochtones, le point de vue abordé est alors celui du regard que l’Occident porte sur les pays du Sud. Et là, Charles Masson ne réussit pas à s’en sortir : il n’arrive pas à se voir dans ce miroir que son intrigue lui tend. Il retombe de fait dans les vieux schémas coloniaux, enfile tous les préjugés de l’Occident : toutes les femmes noires de son roman sont des canons, des bêtes de sexe qui servent à débrider la libido des vieux mâles blancs. Aucun autochtone dans son livre, pourtant virtuose, ne fait preuve d’un brin de réflexion propre sur son île. Les Blancs sont manifestement là pour résoudre les problèmes des Noirs parce que ces derniers demeurent incapables d’y réfléchir. Bref, pour Masson, les Blancs sont indispensables au peuple mahorais qui représente une population de grands enfants. Sans doute faudrait-il rappeler à l’auteur l’histoire mahoraise du Chef Caca.

Si un expatrié peut trouver du plaisir à lire l’ouvrage — et sans doute est-il fait pour lui —, il demeure illisible aux yeux d’un Mahorais. « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront à glorifier le chasseur », dit un proverbe africain ; or, ce livre se positionne délibérément du côté des chasseurs, certes il porte un masque plus humaniste : le chasseur s’est déguisé en ami des bêtes. Mais si on a ôté le casque, la tête reste toujours coloniale.

L’ouvrage, tout en noir et blanc, se positionne néanmoins comme un classique parce qu’il représente un jalon pour qui veut faire l’histoire de la pensée française sur l’Afrique. Une sorte de “Tamango” moderne. Livre très structuré, très élaboré, le lecteur suit le parcours de plusieurs personnages sur le sol mahorais dont les existences se croisent et s’entrecroisent. La thématique est variée : le tourisme sexuel, en corollaire le mépris des gros Blancs pour les indigènes, l’auteur tacle les expulsions musclées, le durcissement des lois contre les sans-papiers. Dès 1994, le visa Balladur oblige les Comoriens à obtenir un visa pour rejoindre Mayotte. L’Ambassade de France de Moroni s’est mise à ressembler à une citadelle. Ce qui entraîne des départs dans des conditions extrêmement précaires et dangereuses, un marché noir de la transportation, un authentique trafic d’ébène moderne.
Les 70 kilomètres qui séparent Anjouan de Mayotte sont devenus depuis « le plus grand cimetière de l’océan Indien ». Triste record dont peut s’enorgueillir la France.
A travers ses personnages d’expats, Masson fait plusieurs clins d’œil appuyés à l’œuvre de Céline, surtout à “Voyage au bout de la nuit”, dont un bout, rappelons-le, se passe en Afrique occidentale, il remarque à raison que l’île aurait plus besoin d’un Céline que d’un Loti. Il y a entre Masson et Céline une semblable verdeur, une noirceur proche, une recherche similaire de la construction. Et la force du dialogue. « A propos... Vous êtes toujours partants pour le poker chez Max ? J’lui ai dégotté six petites... J’crois qu’y’en a deux de ton lycée, Roger. Tu joueras avec les autres !!! ». Plus loin : « Le RMI, c’est la dérive ! Avant, à La Réunion, les filles étaient gentilles... Comme ici ! Tu leur payais à boire ou tu les prenais en stop et c’était bon ! Maintenant qu’elles ont le RMI, elles te snobent ! Elles font les difficiles ! C’est devenu des féministes ! Moi c’est bien simple, s’ils foutent le RMI, je me tire à Mada ! ». Et l’ennui, c’est que les filles noires de ce livre sont toutes belles, mais bêtes à croquer du chou : c’est que l’auteur, à comparer les deux romans, est plus raciste que Céline. Il semble acquiescer à cette définition que propose un site réunionnais : « Etre Mahorais, c’est être gravement précaire »... Ces gens-là ont forcément besoin d’aide, de l’aide de la France. Quand on est riche, on se sent supérieur.

Il reste à propos de ce bout d’Afrique française ce propos de Michel Onfray que cite l’auteur dans une interview : « On fonce dans le mur, mais au moins, relevons la tête pour le faire dignement ».

Jean-Charles Angrand


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