Hommes de corvée

21 avril 2011

Quand j’ai entendu pour la première fois la traînante ritournelle “Hyacinthe” de Thomas Fersen, tiré de son “Pavillon des fous”, je me suis dit que son gars, il devait l’avoir sorti tout droit de Steinbeck. Un de ces livres où l’homme tire vers la bête, et la bête vers l’homme. Le romancier ici jette : « Un coyote aboya, et un chien lui répondit de l’autre côté de la rivière » ; et là : « C’est pas une fois que j’ai vu ça, mais mille..., un type qui parle avec un autre, et puis, ça n’a pas d’importance s’il n’entend pas ou s’il ne comprend pas » : « ce qui compte, c’est parler ». La bête, elle, elle communique, tandis que l’homme... ma foi, c’est moins sûr.

Et encore, entre hommes et souris, ces dernières sont plus inoffensives. Décidément, sale temps que cet octobre 1929 ! La Bourse craque, la récession s’étend partout, et l’homme retourne vers la bête, l’instinct de survie en moins.

Il y a Lennie qui traîne ses grosses pattes là où il ne faut pas, c’est plus fort que lui : quand il caresse, il tue. Quant à Georges, il profite de ces grosses mains-là pour en faire le moins possible, car le bougre, il en abat pour quatre. Une équipe : la brute et le truand ; n’essayez pas de trouver le bon. Car Lennie a l’art de se fourrer dans des sales draps. Alors il faut dégager. Recommencer ailleurs, plus loin. Georges a beau le lui répéter de se taire. Parce que quand Lennie parle, les autres commencent à se foutre de lui, et ça, il ne supporte pas... Il est là le coeur du roman qui palpite : “Des Souris et des hommes” est un roman sur le silence impossible. Il faut que ça cause, c’est le langage qui tient ce qui reste de l’homme.

Alors, il y a le vieux avec son chien qui pue. Le vieux et le chien, ils se ressemblent tant. Il y tient à son chien, même si le cabot boite et qu’il est aveugle. Le vieux Candy, lui, il est manchot. Bientôt, il ne pourra plus servir à la ferme, alors, il faudra qu’il parte avec sa solde. Mais son chien le précédait. Parce qu’il pue trop : même quand le chien n’est plus là, ça sent. Un ouvrier agricole a le courage qu’il faut : à la place du vieux qui a tourné le visage contre le mur comme une femmelette, il traîne le cabot et l’abat d’une balle dans la nuque, dehors. C’est le passé dont on se débarrasse : la vieillesse, elle ne sert strictement à rien. Car dans cet univers américain, de la work ethic, de l’éthique du travail cher au capitalisme, il ne faut pas être faible. Si tu ne peux plus travailler, tu n’es plus rien. Marche ou crève. Ce ne sont pas les ouvriers qui gagnent de l’argent, c’est l’argent qui gagne les ouvriers.

Un passage hallucinant, lorsque Georges commence à décrire avec des détails pour Lenny et Candy, la ferme qu’ils auront, plus tard, et qui a toutes les couleurs du désir : il y aurait dans le coin « un petit poêle en fonte tout rond, et, l’hiver, on y entretiendrait le feu »... « nous garderions quelques pigeons pour voler autour du moulin, comme ils faisaient quand j’étais gosse »... Raconte, raconte encore Georges, s’il te plaît, dis ce que jamais tu n’auras, ça fait du bien : « et si un ami s’amenait, on aurait un lit de réserve, et on lui dirait : “Pourquoi que tu restes pas à passer la nuit ?” Et, bon Dieu, il le ferait ».

Les pauvres itinérants dépossédés se rêvent un chez eux. Leur patrie c’est le rêve. Aujourd’hui, c’est le contraire, le riche est nomade et le sédentaire pauvre.

Là dessus s’amène le fils du patron, un petit hargneux, qui aime la boxe. C’est son truc, il en est fier. On n’a pas intérêt à venir le regarder de trop près. Il s’est affublé une poulette à trois cents dollars, qui lui sert de femme. Elle a raté sa vie de star de ciné, elle cherche dans les baraquements un homme qui pourrait l’arracher à sa vie de paysanne. Décidément personne ne s’écoute, tout le monde rêve dans ce roman. Il faut dire que la réalité est tellement décevante dans cette Amérique de la réussite (les années 30 qui s’effondre et dont il ne reste que des débris de rêve.

Pour autant, Lenny et Georges et Candy peuvent ils aujourd’hui être sarkozystes : l’ancien candidat ne rêvait il pas de « faire de la France un pays de propriétaires » ? Lenny et Georges des propriétaires ? 2 pièces HLM en banlieue parisienne, au 4ème étage d’une tour qui en compte 17 et qu’on appelle dans le quartier « le fromage » avec vue imprenable sur l’autoroute. 15 euros par mois durant 20 ans ; avec le RSA, c’est la signature assurée. Notre jeunesse a peut être d’autres rêves que celui de devenir proprio d’HLM.

Vous en voulez encore du rêve ? Plus on donnera de l’argent aux Mahorais et plus ils seront pauvres. Parce qu’on va leur prendre leurs terres : l’agriculture vivrière, c’est terminé, mon coco : ça ne fait pas tourner l’économie : place aux hôtels de luxe triomphants, annoncés en haut lieu : le tourisme il n’y a que ça de vrai pour ma Yoyotte.

Décidément, tant qu’il y aura des souris et des hommes... Mais peut-être il serait mieux d’être souris...

Jean Charles Angrand


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