La bêtise est si divertissante !

11 octobre 2018, par Jean-Baptiste Kiya

À se tordre (45 histoires chatnoiresques) d’Alphonse Allais, éditions UltraLetters.

Georges Boisflambart, en entrant dans la salle d’attente du Dr. Lacanaille, jeta à la cantonade un cordial « Bonjour ! »
Pour toute réponse, il entendit « Prout ! »
Surpris, il cala son monocle, et regarda alentour.
« C’est pas moi.
- Ni moi.
- Et moi encore moins », fit un gros homme en tweed qui tournait la feuille d’un Figaro.
Boisflambart et les trois patients se mirèrent tour à tour intrigués, puis se tournèrent d’un même mouvement vers l’unique chaise blanche et inoccupée qui restait dans la salle d’attente, posée dans un coin. Leurs yeux flambèrent.
- Vous pensez ce que je pense ?, confia Boisflambart.
Assentiment muet des trois autres.
… Les quatre hommes étaient sur le point d’expulser la chaise sur le trottoir d’en face quand la jeune secrétaire du Dr. Lacanaille accourut pour les apostropher :
« Le psychiatre est prêt à vous recevoir pour un entretien collectif ! »
***
Pressé de quitter la scène à l’âge de 51 ans, Alphonse Allais n’eut le temps de côtoyer ni de découvrir cette nouvelle caste de la bien-pensance qu’on appelle les psychiatres : freudiens, lacaniens, doltoiens.
Il s’en serait esclaffé, le « fabricant d’écrabouillite », le maître « gonlafonier de la rigolade moderne », rien que d’y penser, mes zygomatiques s’allongent.
Sur ces fantasmagories, le garçon me servit un troisième Picon menthe ; Georges fit alors une apparition fracassante dans la salle du café :
- Tu vas pas le croire, je me suis chopé une merde…
Il s’appliquait un mouchoir sur le nez.
Je le croyais sans peine, avec le froid qu’il faisait.
- C’est pas ça… Je te raconte. J’étais assis dans le square en train de parcourir quelques histoires chatnoiresques, quand un type, du genre fâcheux, s’est assis à côté de moi. Il m’a salué civilement pour m’entreprendre d’un “Vous savez quoi ? J’ai une gueule qu’on a envie de claquer…
- Allons, Monsieur !, lui ai-je fait.
- Je vais vous raconter comment ça m’est arrivé, poursuit-il.
- Sans façon.
- Permettez-moi d’insister : je tiens à vous éclairer… Sachez que la femme est le clairon de l’homme…”
Là-dessus, je me lève. Il me retient par la manche.
“Laissez donc”, fis-je.
Je réussis à me dégager. Il me poursuit :
“Je n’ai pas terminé…
- Moi, si !
Tiens-toi bien : il me crie alors - je courai déjà :
- Partez pas, c’est la meilleure histoire d’Alphonse Allais !…”
Trop tard, j’avais pris mon élan et là, Paf !
- Quoi « paf » ?, lui dis-je entre deux gorgées de Picon.
- Ben, en pleine gueule.
- Quoi ?
- Le réverbère.
Je regardais son mouchoir, en effet il était tâché de sang.
- Affirmatif, conclus-je, je confirme : Allais est dangereux !
Là-dessus, je règlais le rafraîchissement hydropathique et quittais l’établissement avec ma canne, prêt à en découdre avec l’existence.

Jean-Baptiste Kiya

A la Une de l’actu

Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année

La kaz Tikok

23 avril, par Christian Fontaine

Promié tan, la kaz bann Biganbé navé dé piès minm parèy sad bann Maksimin, soman té kouvèr an tol. Malérèzman, siklone 48 la ni, la lèv lo ti (…)


+ Lus