Le Cid, sous le signe de la Salamandre

1er juin 2018, par Jean-Baptiste Kiya

Le Cid de Corneille, en Classiques Hachette.

Que disait Céline ? Il disait : “l’infini à la portée des caniches”. Dans un mouvement contraire, ascendant, Corneille faisait de l’amour un honneur. Ou pour dire plus, il laissait entendre que l’honneur l’emportait sur l’amour pour le porter plus haut, et le mettre au-dessus. De la passion, il tirait l’idée d’un sentiment combattant où le combat ne serait dirigé qu’en un contre-soi, l’associant à la plus grande des victoires - dans un espace marginalisé, situé en dehors de la gloire certes, mais qui venait lui faire concurrence sur son propre terrain, celui de la grandeur, et du spectacle aussi. Car l’amour se montre en s’éprouvant, il donne le change.
Le dramaturge en use comme d’un pot acoustique : inscrustés dans les murs des églises romanes, ils étaient destinés à amplifier les hymnes sacrés…
Il y a dans cette pièce bien sûr le doux mal et le moindre mal, le courage et le cœur qui parfois se confondent et souvent s’affrontent, le sentiment social de l’honneur : tenir le rang, s’y trouver enfermé comme dans un vêtement trop serré - bref la casuistique XVIIe du corset, des cœurs pris en étau.
Introspection Princesse-de-Clèves, carte-de-Tendre aux chemins si-noueux, tout cela investi par la pendule immense d’une machinerie grandiose dont l’implacable et tourmenté balancement entre amour-honneur, monologue-dialogue, lance l’hésitation, au sein de la pièce, imprime son rythme fatal au creux des personnages, au trop-plein de sentiments et d’action, mais revient toujours du côté de la vaillance, mécanique remontée de sorte que tout va à l’affrontement, et que tout se mue en victoire.
Une amie me disait que dans sa réussite, on avait l’impression que quand Chimène sortait de scène, tout l’univers sortait derrière elle. Toute vie, auprès de ces destins, paraît un brouillon, n’est-ce pas ?
Raison contre passion, vertu opposée à l’amour, la friction continuelle des sentiments et des personnages provoque une combustion, et fait du ‘Cid’ une pièce en feu. L’incendie se répand de personnage à personnage jusqu’à la Cour qu’il allume d’une lumière nouvelle. « Si mon courage est haut, mon cœur est embrasé », constate amèrement l’infante. Éclats que le feu de la passion répand. Les Anciens disaient que la Salamandre était capable de vivre dans les flammes sans se consumer. Identifié au feu, flammes figurées sur son corps, l’animal en était une manifestation vivante. Les larves déposées dans les étangs et cours d’eau fait que, née de l’eau claire, la froide Salamandre en garde les pouvoirs ; ayant la réputation de survivre au milieu des flammes, elle les éteint aussi.
Dans l’iconographie médiévale, la Salamandre symbolise le Juste qui ne perd point la confiance en son Dieu au milieu des tribulations.
Le feu embrase, témoigne de sa grandeur et de son instabilité, dans une irrégularité baroque, il n’y a qu’un personnage-salamandre qui puisse s’en extraire sans en être atteint, c’est le Cid : Salamandre dans le feu pour lequel il ne reste qu’une ‘belle mort’ retardée, et qui ne peut l’atteindre.
Les assauts du cœur, finesse de toutes pointes argumentatives, suivent un escalier de valeurs qui dépasse l’homme et parle d’un « honneur plus cher que le jour » et d’un amour plus cher que l’honneur avec ce sentiment qu’il y a des notions plus hautes que le soi ; l’étrange, l’extravagance du sacrifice du Cid en fait une pièce sur la volonté, et non sur la raison.
En cette époque de Préciosité, sans doute Corneille rêve-t-il aussi d’une révolution de l’amour qu’il souhaite statufier. Et dans cette quête de l’immobilité des dieux, le dramaturge fait-il une pièce aporétique, dans laquelle le nœud ne se dénoue pas pleinement.
Et là encore, le roi doit rendre justice, tout comme Salomon, pour percer la vérité du cœur sous les mensonges du paraître, et ment. Le roi ment, il met à nu, mais ne peut rien, ne régnant pas sur les cœurs.
Je me souviens d’un garçon de 4e qui, pendant une lecture s’est vu confisquer le papier qu’il avait sur son Lagarde & Michard. Le sixain d’alexandrins qu’il y avait déroulé à la manière du Cid valut à ce gamin un tardif ‘respect’ de son professeur.
La société d’aujourd’hui n’étant ni très belle et ni très accueillante, le Cid offre à la jeunesse encore un nécessaire surcroît de beauté. Et le plus incroyable, c’est que la magie opère encore.

Jean-Baptiste Kiya


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