Le Grand remplacement - et vite !

5 avril 2018, par Jean-Baptiste Kiya

La Décadence, par Juvénal (Satires choisies et adaptées par Alain Golomb), éditions Arléa.

La décadence fait de l’excellente poésie, c’est démontré, l’assertion aujourd’hui passe pour tautologique ; or, la ‘poétique’ de Zemmour (pour laquelle Rome brûle encore) montre assez qu’on en est encore loin. René Char notait en des temps autrement plus troublés : « Il existe une sorte d’homme toujours en avance sur ses excréments ».

La thèse ouvre encore, plus de dix-sept siècles après, un fonds de commerce bien replet - c’est une bonne vendeuse que voilà ! Pas plus tard que la semaine passée, le site du Point titrait : « Bernard-Henri Lévy et la défaite de l’Occident ». Du Melpomène par-ci, la muse de la tragédie ; un zeste de Thalie par-là, la muse de la comédie ; un soupçon de Polymnie, muse de la rhétorique ; et Euterpe, la muse lyrique pour couronner le tout - et remuez-moi ça…

Oui, Rome brûle encore, Néron alluma l’incendie, Juvénal le raviva. Mais les vers latins avaient un tout autre souffle que la prose de Finkielkraut ou d’Onfray :

« Cantasti male, dum fututa es, Agele.

Iam cantas bene : basianda non es. »

Ils pensaient sans doute suivre Néron, et finir le travail.

Et Rome en brûlant le brûle à son tour.

Voyez les Zemmour, Soral, Dieudonné, comme ils tendent au brasier, avec des joies de pompiers pyromanes, « Bien bête d’avoir la clémence d’épargner un papier que d’autres vont gâcher », lâche Juvénal dans sa première Satire : « Comment ne pas écrire de Satire ? », surtout si elles brûlent au feu de ceux qui le rallument en permanence, avec la posture d’attendre, baveux, la catastrophe imminente, la bouche pleine d’un je-vous-l’avais-bien-dit, à la façon des Dutourd, Houellebecq. On vous l’a répété, on vous l’a martelé : elle est là, la catastrophe, elle frappe à la porte. Si vous ne l’avez point vue, c’est que vous êtes astigmate ou grabataire. Bien assez cocasse enfin que d’entendre un Dieudonné se disputer avec un Zemmour sur le type de catastrophe dont il s’agit. Et si la catastrophe, ce n’était pas eux, finalement ?

Les visages n’ont guère changé depuis les Latins, mais l’humour si. Comme la virtuosité. Avez-vous remarqué combien nos décadentistes sont pédagogues ? Ni Juvénal ni Martial ne l’était. Ils se fichaient d’être politiques : Rome brûle-t-elle, qu’après tout, il fait moins chaud que sous le soleil de Saturne… Pédagogues, autant dire avides d’argent et de reconnaissance - alors que bien avant Johnny, Juvénal chantait : “On pleure le fric plus que le mort”.

Allons, Messieurs, relisez Huysmans, et le traité sur La Perversité des mœurs, de Marius Victor. Les barbares venaient du Nord, « enveloppés de casaques de peaux de rats, Tartares affreux, avec d’énormes têtes, des nez écrasés, des mentons ravinés de cicatrices, de balafres, des visages de jaunisse dépouillés de poils, ventre à terre, enveloppés de tourbillons », n’est-ce pas ?

Sans oublier que ce qui a disparu dans la poussière des galops et la fumée des incendies vous a fait naître, et que ce langage même que vous maniez avec impétuosité vous vient d’idiomes barbares.

Pour Juvénal, si Rome va mal, c’est de la faute du Grec, pour Zemmour, elle vient du Sud, enfin d’ailleurs, toujours d’ailleurs…

« Qui est assez servile, écrit Juvénal dans sa première Satire, pour pouvoir supporter une vieillesse aussi veule ? Assez blindé pour garder son sang-froid quand débarque, dans sa litière neuve qu’il remplit à lui tout seul, Mathon, l’avocat marron ? À ses basques, un homme qui a dénoncé son meilleur ami. »

Oui, M. Renaud Camus : crions au Grand remplacement - et vite ! Au grand chambardement !

Peut-être un jour La Réunion aura-t-elle la chance d’entendre M. Zemmour venir lui faire la leçon sur les Noirs et les Arabes. Et, « dans l’orgie des paroles ferventes », aura-t-elle droit à une démonstration brillante sur la population carcérale, par celui qui a été condamné en février 2011, en 2014, 2017, dans un brillant discours procès de la politique.

« Fais venir à la barre, à Rome, un témoin tout ce qu’il y a d’irréprochable. La première question : ‘Combien tu gagnes ?’ Sa moralité, c’est la dernière chose qu’on lui demande ».

Le décadentisme fin de siècle fleurait autrement par son élégance fanée et son raffinement dandy que celui dont on nous abreuve à longueur de temps aujourd’hui ; à l’époque, le naturel était détestable, seul l’artificiel était source de beauté. Il fallait chercher la dépravation parce qu’elle était le propre de l’homme, inconnue de l’animal qui, lui, est aveuglément mené par l’immuable instinct. Baudelaire cherchait la beauté toute spleenitique fût-elle dans la grande ville, articifielle et nauséabonde.

Oui, un poussin, Monsieur, c’est un œuf qui n’a pas eu de chance. À l’amour près.

Et l’ancêtre de l’homme, c’est la maladie, n’est-ce pas ? Définition d’avorter : sauver de la vie un innocent. Que ne font-ils, ces parangons de vertu et de grandeur, à la façon de Des Esseintes, qui dégoûté de la vie dormait beaucoup pour vivre le moins possible ? Faudrait-il, par une immense compassion, leur crever définitivement les yeux, comme le suggérait Huysmans ?…

Alors que Victor Hugo comparait le style de Juvénal au fracas que fait l’océan secoué par les lointaines tempêtes lorsqu’il vient s’abîmer sur les berges caillouteuses, nous ne saurions en dire autant de celui du “Suicide français”, et de ses illustres contemporains :

En médecin, Erikus se croyait fort ;

Le voilà croque-morts.

Pour nous pas de grand changement,

Il avait de l’entrainement.

La décadence s’arrête toujours à sa porte. Au reste, sans elle, point de Soral, de Dutourd, Finkielkraut, la liste est longue.

… Qu’il soit bleu, blanc ou rouge, le coq reste un coq.

Alors, Messieurs, encore un effort, une ultime manœuvre : que ne louangez-vous pas, avec les poètes fin de siècle, Héliogabal, le plus oriental des empereurs romains, au sein d’églogues ésotériques sans fin ? « La France a des réactions d’épave dérangée dans sa sieste », résonnait René Char : plutôt que de tirer à longueur de journée une tête d’enterrement, jouissons de la glissade ! Que ne vous lancez-vous pas, une bonne fois, avec un raffinement sans pareil, dans l’expectatif appel à une nouvelle invasion de barbares ? Le Déluge ne serait-il pas un expédient louable à cette tourbe que vous vous plaisez à malaxez sans cesse ?

Jean-Baptiste Kiya

À mon avocate.


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