Le secret de l’invisibilité (par Naipaul)

4 octobre 2018, par Jean-Baptiste Kiya

Le Masque de l’Afrique (Aperçus de la croyance africaine) par V. S. Naipaul (traduit par Philippe Delamare), éditions Grasset.

Le poète nigérian Ben Okri a rédigé deux histoires à quelques années près. Il a fait d’abord le récit d’un esprit qui part dans toute l’Afrique à la conquête du secret de la visibilité ; puis, celui d’un jeune homme qui a tout pour lui, et qui se lance dans un voyage continental pour trouver le secret de l’invisibilité.

De ces deux histoires, il n’en publia qu’une. Je vous laisse à penser laquelle. Ce que l’on ne sait pas, c’est que ces deux récits se rejoignent, se recoupent, qu’ils ne forment qu’une seule et même trame dont l’Afrique est le dédale.

Ce que le lecteur ignore encore, c’est qu’il passera à côté, sans voir, qu’il ne restera que d’un côté du miroir, comme l’a voulu Okri - qui ne fut pas Nobel de littérature, à la différence de Sir Vidiadhar Surajprasad Naipaul qui n’a pas lu son collègue, sinon il n’aurait jamais écrit ce livre sur l’Afrique.

« Le masque de l’Afrique » pour titre. Moi, qui aime tant les masques africains, surtout ceux qui sont parés comme des boucliers… Que c’est décevant.
Naipaul a beau se réclamer du proverbe : « Celui n’est allé nulle part croit que la soupe de sa mère est la meilleure », pour y être allé, il ne l’a pas goûtée.
Qu’on comprenne : l’Afrique subsaharienne comprend 48 États ; le seul Cameroun abrite 247 éthnies, ce qui représente autant d’imaginaires différents sur la vie…
Il eût été intéressant de savoir comment parler de pays où le ventilateur est une danse et le pastel un beignet de poisson, de savoir comment évoquer ces lieux où, sur le capot des camionnettes-transports, se trouve « S’en fout la mort ». Comment décrire un tourbillon ?
Il se peut - je l’ai entendu dire - que, comme l’herpès, Naipaul empoisonne ce qu’il embrasse.

Qu’il envisage les “sables mouvants où le voyageur de passage n’a pas le temps de s’aventurer”, qu’il préfère contempler l’ordure, qu’il préfère cloisonner le continent dans des moraines de saleté, de misère, d’avidité, qu’il tienne des considérations sur la surpopulation, la corruption endémique, la pauvreté crasseuse et les pensées en toc, qu’il le fasse, l’Afrique s’éloigne. Ici, les murs ne bougent pas, ils s’accroissent. L aurait pu titre : Au sud, rien de nouveau ; l’idée a de quoi rassurer, sans doute.
“Un passager, raconte-t-il, avait disparu après l’enregistrement. Nous avons attendu quelque temps, puis le pilote a dit que l’absent avait fait enregistrer 19 bagages. J’ai cru avoir mal entendu. (…) Les Nigérians ont une idée bien à eux du prestige. Ils s’amusent avec des choses que d’autres pourraient prendre au sérieux ; et un passeport diplomatique, avec ses nombreuses immunités, est l’un des joujoux qui leur sont échus avec l’indépendance et un État. Posséder un jouet pareil, presque un fétiche, distingue les hommes des enfants, et les gens importants se bousculent pour cet anoblissement” (p.87). Parce que, pour bien des intellectuels occidentaux estampillés tels en tout cas, les Africains sont de grands enfants… Ben Okri est Nigérian, n’est-ce pas ? Naipaul, suivant en cela le regard du fameux Tintin au Congo pour qui tous les Nègres sont semblables, décrète une typologie invariante du Nigérian. Au nom de quoi ? D’un quelconque Prix Nobel de littérature acquis en 2001 ? Une même pente menace les néo-coloniaux, celle qui mène à la fange, et quand aujourd’hui Zemmour se contemple dans la glace il voit Nick Conrad.
Engoncé dans une molle condescendance, voué à une errance sans but qui oscille autour de sa personne, le livre se tisse de viles considérations en mornes constatations, avec quelques éclairs certes, bien vite évanouis dans la ténèbre épaisse qui le compose.

Ceux qui pratiquent le sport à un haut niveau savent ce que c’est que le second souffle - ce livre n’en a pas. Il fait penser à une grande malle de voyage où s’empilent dans le désordre de ce qui vient, images, pays, clichés, avec la confusion permanente entre l’histoire par le haut, et celle du bas : il décrit une impasse qui n’est autre que celle de son récit qui respire à plein nez le contrat d’édition.
Sur la carrosserie d’un taxi dakarois est peinturluré “Tout passe”, et en effet il passe - compteur kilométrique bloqué à zéro. Ce que fait le livre de Naipaul, mais de manière plus rapide, et avec moins de trace encore.

Jean-Baptiste Kiya

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