Le singe de Buffon - La force du iota

12 octobre 2017, par Jean-Baptiste Kiya

Le Singe à Buffon de Gilles Bachelet, éditions Seuil, collection – issime.

Le premier Américain à aller dans l’espace était un singe. Preuve, s’il en fallait, que les simiesques ont une indubitable avance sur nous. Gilles Bachelet, dans l’opuscule naturaliste qu’il y consacre, n’a, à juste titre, eu de cesse de rappeler que le singe descend de Buffon.

Savant en jabot, manchettes tirées, ornementées de dentelle, le faste de ses allures, comme le rapportent ses contemporains, était à nul autre pareil, lui dont la statue proclamait déjà de son vivant que « son génie égalait la majesté de la nature ». Aveu, faut-il le souligner, que le savant singeait la nature, comme le sculpteur le savant.

Drôle d’espèce tout de même que l’Homme, lui qui, par le biais du savant Réaumur essaya en plein siècle des Lumières (1740) de croiser une poule et un lapin, tout en se questionnant sur le résultat de l’opération, à savoir si la progéniture serait une poule à poil blanc ou un lapin à plume rousse. Linné, captivé par l’expérience, vint à s’interroger sur « l’origine plutôt bizarre » des Maures [les Noirs de l’époque] que son élève Fabricius rattachait au croisement de Blancs et de Singes… « Il n’est pas improbable que dans les pays chauds des singes aient subjugué des filles », se lançait Voltaire, sous-entendant que, si elles le furent, elles tenaient leur attirance du dégoût que leur inspirait l’attitude des hommes de leur contrée… « Voltaire, ton hideux sourire voltige-t-il encore… ? »

À la suite de l’« indice céphalique » d’André Retzius, Broca compara crânes d’aristocrates et des crânes déterrés de pauvres, il en conclut à la nette supériorité du noble sur le prolétaire. Mesures pourtant moins fines que l’échelle de Le Bon qui, se fondant sur la capacité crânienne distinguait les différences des classes sociales auxquelles appartenaient les crânes, de la même façon hiérarchisait-on les espèces. Angle facial, indice nasal, encéphalique, l’homme eut tôt fait de faire le singe pour l’homme…

À ce propos, à quoi pouvait bien prétendre l’indice encéphalique du singe de Buffon ?

Pour Buffon, le singe était la dégénération de l’homme ; et les autres animaux, la dégénération du singe. Aussi n’avons-nous plus qu’à nous en prendre à nous-même dès lors que nous nous faisons piquer par un insecte piqueur - espèce dégénérescente de nous-mêmes !

« Par quel curieux mélange ! », s’était exclamé un lointain naturaliste en voyant pour la première fois un primate.

Car si Aristote concédait que les singes avaient forme humaine, c’était pour insister sur l’aspect caricatural de cette analogie. Le singe a certes des mains, des doigts, des ongles semblables à ceux de l’homme : « seulement toutes ces parties ont un aspect plus bestial » (in « Histoire des animaux »).

Le grec Galien s’attacha de semblable façon à observer la main du singe : une pseudo-main, tranche-t-il, imitation grotesque parce que le pouce « qui contrôle l’action de la main est inachevé dans celle du singe ». Et d’en conclure que « le corps tout entier du singe est une imitation ridicule de l’homme » (in De usu partium). Fond semblable, le singe étant précisément singe parce qu’il singe l’homme.

Ces réflexions fleuraient certes l’immonde jalousie puisque - jeu de mains, jeu de malin - les hommes de science n’osaient pas dire la tragique évidence de la supériorité du singe sur l’homme : le simiesque ayant 4 mains, tandis que l’homme n’en a que 2 !

Le médecin grec, reconnaissant sans doute la ténuité de son argumentaire finit par avancer que le singe n’avait pas de fesses. Preuve irréfutable qu’il était hors du champ de l’Humain : la fesse, étant comme chacun sait, le propre de l’homme.

Notre Darwin raté, Buffon, qui émit un temps l’idée d’une parenté entre l’homme et le singe, se ravisa bien vite de la même façon que savant Cosinus en vint à concevoir des doutes « relativement aux propriétés arithmétiques du nombre 1 », volte-face motivée par une peur bleue précisément de se reconnaître en l’un d’eux.

Une distinction prévalait entre ce que les Anglais appellent ‘monkeys’, c’est-à-dire les singes porteurs de queue, qui n’étaient pas des vrais singes, et les ‘apes’, c’est-à-dire des singes sans queue, plus proches de l’homme, plus intelligents : ceux-là même que Linné désigna sous le nom de ‘primates’ pour bien signifier qu’ils étaient les premiers dans cette espèce : chimpanzés, gorilles, orangs-outangs. Buffon commença donc son étude par celui de tous les singes qui ressemble le plus à l’homme, « et par conséquent le plus digne d’être observé » : l’orang-outang.

Il s’attacha dès lors à réfuter les 47 points de ressemblances relevé par l’anglais Tyson dans son « Orang-outang sive homo sylvestris » (1699), avant de conclure que, « malgré la ressemblance de forme, la conformité d’organisation », un intervalle immense sépare le singe de l’homme.

Dans toutes ces études, il est remarquable de noter que ni dans l’éthique, ni dans l’esthétique le singe ne se distinguait. La bête restait tributaire de la matière, tandis que l’homme s’élevait vers l’Idéal. Pas de Baudelaire pour les singes.

« Comment introduire un esprit humain dans un corps si malgracieux, déclarait Buffon. Ce n’est pas demain la veille que je jouerais aux échecs avec un singe ! »

Socrate dans « Hippias majeur », à la recherche d’une définition du Beau, eut recours à Héraclite, et trancha : « Le plus beau des singes est laid ».

Le jugement éthique était aussi implacable : « de part son goût très prononcé pour les pommes », il nous renvoie au péché originel, dont il apparaît l’un des symboles.

Pire en cela à la bêtise de l’âne, le Singe y ajoutait la malice.

Bachelet fait la courte échelle à Galien : « Nous rions, dit le naturaliste, de ses imitations qui dans la plupart des détails sont fidèles, mais fausses sur l’essentiel ». « Il essaie d’imiter tous les actes des hommes mais se trompe et fait rire ». Personnage à la La Bruyère, le Singe « tolère, disait déjà Plutarque, de s’offrir lui-même comme objet de plaisanterie et de dérision » (Moralia).

Malgré l’amusement que le lecteur y prend, le singe de Bachelet, demeure fidèle à celui du chromos : enfantin, joueur, jouisseur, gourmand, excessif et caricatural ; son Buffon en antithèse se pose en raisonnable, figure idéalisée du Colon.

Retour aux lieux communs : quelles espèces humaines envoyait-on au zoo - singe de moi-même ?

Au reste, ces lignes bougent peu : tout récemment, sur un plateau de télévision, un certain Baffie « ramenait sa copine », une femelle singe de 25 ans, en robe rose. Échange de baiser, relate la presse ; « Voulez-vous m’épouiller ? Elle a dit oui tout de suite. » La singe voulait lui mettre les doigts dans la bouche, avant de sauter en poussant des cris vers un chanteur connu qui reçut un coup de tête. La faute à qui ? Pauvre humour de télé-poubelle. Plus bête qu’un animal.

Jean-Baptiste Kiya


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