Petit pois géant cherche ogre nain

14 décembre 2017, par Jean-Baptiste Kiya

Le Colonel des petits pois, de Christian Oster, éditions L’École des loisirs, collection « Neuf ».

S’il est un livre qui ne veut pas se laisser aborder, se laisser lire, c’est bien ce petit opuscule qui se referme dès lors qu’on cherche à l’ouvrir, jaloux de son propre mystère. On a beau s’humecter l’index, il vous le coince au rabat. Et puis les pages, l’humidité aidant, se collent. Vous ne retrouvez jamais le passage où vous vous étiez arrêté tant ils semblent prendre plaisir à se mélanger. Une fois que vous arrivez à écarteler le recueil, le vent se saisit de l’occasion pour vous emporter deux feuillets ou trois, et vous vous mettez à courir après comme un fou dans les brandes et les épines jusqu’aux abords de ce que vous croyez être un terrier de lapin blanc, le château de la Belle au bois dormant, là où tout paraît figé depuis l’Éternité, comme dans le marbre. À moins que vous n’arriviez à l’ouvrir d’un coup, en ce cas vous découvrez un texte où les mots se défaussent, se battaillent tels des chiffonniers dans une inépuisable guerre de succession. Terrible pagaille en vérité. Ce qui fait que si vous parvenez jamais à le terminer, vous voilà promu fier Chevalier des lettres, héros du livre, vainqueur de toutes sortes de forces obscures, de pièges et de bûchers…

Mais puisqu’il vous faut vous raconter la terrible pagaille que c’était, je puis vous dire que le colonel des Petits-Pois était arrivé au pas de charge, expédié par un gamin malicieux depuis la fenêtre de la cantine.

“Ce sont des petits pois d’aujourd’hui”, remarqua l’Ogre qui avait reçu une éducation sur le crâne, et qui se grattait le nez.

L’Ogre, c’était mon père : non qu’il mangeait les enfants, il n’en avait pas le droit, bien qu’il eut été fort gourmand – pour ne pas dire goinfre - mais il dévorait l’enfance dès qu’elle se présentait, c’est-à-dire la quintessence de l’enfant, sa substantifique moelle.

Et puis un petit pois : la tête et les fesses, c’est pareil, faut simplement pas se tromper de côté. Sauf pour taper, alors peu importe.

À la venue au monde du petit Pois déjà, la fée s’était trompée de vœu, ce qui avait entraîné la panique dans tout le château et ses dépendances ! Mais enfin, voilà ce qui était arrivé était arrivé : l’Ogre faisait rouler salement le petit pois entre ses gros doigts boudinés. Et le petit Pois comprit bien vite qu’un chapeau le ferait disparaître : qu’un ogre chapeauté n’est plus un Ogre, qu’en le civilisant, il anéantirait sa nature de l’Ogre - en somme un ogre sans chapeau est comme un corps sans tête – capable de vous écraser sans même vous dire pardon. Vous l’aurez compris, le petit Pois s’appelait Fous-le-paquet.

Fous-le-paquet lisait très bien. Il avait lu dans un recueil de l’Huître chrétienne ceci : « Les poissons rouges restaient chez leurs propriétaires, au fond des appartements, à tirer tranquillement au pistolet dans leur bocal ». L’auteur précisait alors : « les poissons rouges n’étaient pas fous au point de tirer au pistolet droit devant eux, dans leur bocal. Ils ne tenaient pas à le casser. Ils tiraient en l’air, évidemment ». De la sorte des morceaux de plâtre se décrochaient régulièrement des plafonds troués et tombaient au plus profond des bocaux de sorte que ceux-ci s’emplissaient de débris, de gravats, et que les poissons ivres de rage mouraient ainsi, la bouche ouverte. D’ailleurs, tirant en l’air, il valait mieux pas trop se pencher, et comme ils dégommaient les mains de ceux qui les nourrissaient, quand ils ne mouraient pas écrasés par les débris qui tombaient du plafond, ils devenaient si maigres qu’ils n’avaient rapidement même plus la force de tirer. Voilà ce que lisait Fous-le-paquet.

Le petit Pois avait encore pour ami l’Oiseau-qui-s’envole, et qui ramène les rêves qui ont fichu le camp. L’Oiseau-qui-s’envole n’eut aucun mal à rapporter un rêve qui ressemblait à un chapeau - à moins que ce ne fût un chapeau qui ressemblait à un rêve (personne n’aurait pu faire la différence) - destiné à l’Ogre qui, ainsi chapeauté, se prenait pour le premier des parvenus. Mais dès que celui-ci saluait ôtant son chapeau il retrouvait sa nature première, pleine d’irascibilité et de suffisance. Aussi valait-il mieux qu’il ne saluât personne et qu’il allât vivre dans le désert de son esprit.

Le petit Pois lecteur avait pour camarade une grenouille, mais pas n’importe laquelle : c’était une grenouille qui ne voulait pas sauter. Ce qui évitait, lorsque Narcisse venait contempler sa propre image dans le miroir des eaux usées, qu’il se reçut un batracien en pleine poire. Non que cette grenouille eut une foulure, ou une quelconque infirmité, mais elle ne le désirait point. Elle ne désirait simplement pas sauter de joie, car elle avait la conviction qu’aucun prince charmant ne viendrait jamais l’embrasser, et qu’elle ne se transformerait jamais pour épouser je ne sais quel bellâtre duquel les grenouilles rêvent tout le jour. En fait, elle ne croyait pas au Prince charmant. Faut pas rêver. Fous-le-paquet en était marri d’autant plus que Grenouille s’en montrait affectée. Il se disait que si sa camarade ne sautait pas, jamais elle ne pourrait avancer dans la vie. Aussi quand le gros bœuf vint s’abreuver à l’étang, Fous-le-paquet lui flanqua un tel coup de pied que la Grenouille fut envoyée à la face du taureau qui fatalement l’embrassa. Ainsi, la Grenouille-qui-ne-voulait-pas-sauter fut transformée en bœuf, et La Fontaine n’eut qu’à se rhabiller :

Un bœuf vit une grenouille

Qui lui sembla de fine taille :

Elle était mince aussi qu’une nouille.

Envieux, il fait maigre, et son régime travaille

Pour égaler l’animal en minceur

Disant : Regardez bien, ma sœur,

Est-ce assez de kilos perdus ; n’y suis-je point encore ?

- Nenni - N’y voit-on point mes os ? - Point du tout. - Et là ?

- Vous n’en approchez point. Le gros herbivore

Maigrit si bien qu’il creva

Il n’y eut pas même de quoi nourrir les asticots - oh.

Déplorable fable en vérité, mais le monde n’est-il pas analogue : s’en allant en peau de chagrin, vers l’inanition et les anorexies de toutes sortes ?

À mon réveil, en sueur, je contemplais mes draps éparpillés sur le sol comme la dépouille de mes rêves : c’était là, fis-je, un peu du flottant de la harpe du roi David poursuivant pour les achever les divagations du roi fou.

Jean-Baptiste Kiya


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