Tropismes - éloge du Trop

22 décembre 2016, par Jean-Baptiste Kiya

Joyeux Noël d’Alexandre Jardin.

Ah, l’affreux Noël du bas les masques !… Quand un ami a prétendu : « On a besoin de trouver notre double pour pouvoir se supporter », j’ai rétorqué : « Je crois plutôt qu’on a besoin de trouver notre double inversé pour pouvoir s’accepter - ce qui n’est pas exactement pareil. » Alexandre Jardin et Norma Diskredapl l’ont trouvé – pas plus loin que dans leur propre clan.

Une mère qui multiplie les tentatives de suicide à cause de ses fils aînés, qui vole ses enfants, un père qui dérapait sanguin et un autre homme déboulait, engorillé, primitif. Fou. Médaillé du travail, ce dont il fit la demande, pas même troublé de vociférer sur sa secrétaire. Le souvenir qu’il m’en reste, encore vivace, d’une quinquagénaire paniquée, pétrifiée. Il était le même au boulot comme en famille, critiquant les patrons toute sa vie pour se féliciter de voir son dernier fils le devenir. Incapable de faire retour sur lui-même. Toute cette génération portait les stigmates de la guerre, de l’Occupation : la fuite en avant, l’abandon, la privation et la violence dans le désordre d’un monde où la vie pesait si peu, sans doute moins qu’une balle perdue. Aussi le dédain de leurs parents le faisaient-ils subir à leurs enfants – juste retour des choses. Ils proclamaient quelques mesures hautes pour s’empresser de les abandonner dès qu’on tournait le dos. Ils se disaient socialistes, ils étaient francs-maçons. Prétendant vouloir changer le monde, ils n’avaient pas commencé par se changer eux-mêmes. Des êtres d’un temps qui voyait Tournier s’abriter derrière les théories goethéennes sur les couleurs pour justifier la prééminence de l’ombre. Est écrit dans la nouvelle « Lucie ou la femme sans ombre » : « Quant à l’homme, c’est à son noyau de ténèbres qu’il doit ses couleurs. » Tout lecteur sait à quel noyau l’écrivain faisait allusion, qu’il ne pouvait qu’engloutir d’ombres. Nous avons pataugé des générations durant dans une société d’escamotage où le silence et l’apparence étaient les maîtresses valeurs de son gouffre.

Léautaud le dit dans les entretiens des années 50 avec Robert Mallet : il ne dénonça pas à son patron de notaire son collègue de travail, pourtant prévaricateur.

Le terme qu’il employait de dénonciation n’était pas anodin ; le mot d’ombre suintait la Collaboration. Un mot-refus derrière lequel il était aisé de se réfugier, la bonne planque. Combien de fois l’ai-je entendue, cette citation de Camus : « Entre ma mère et la justice, je préfère ma mère ». Mais c’était quand même une drôle d’idée que de vouloir opposer les deux. En quoi les liens du sang pouvaient-ils annihiler les valeurs auxquelles on tenait ?… Pourquoi était-ce exclusif, et non pas inclusif. En vertu de quoi ma mère était-elle supérieure à l’idée que je me faisais de la justice ? Les liens du sang valaient-ils un blanc-seing pour l’aveuglement ?

Le terme utilisé par Léautaud multiplie les questions, « dénonciation » interroge sur la qualité du destinataire : dénoncer à qui ? Peser ce ‘qui’ : représentants d’un régime totalitaire ? Il s’interroge sur la finalité : pour quoi, et quel risque encourt ce que je dénonce ? À savoir, quel est le poids de ce que je dis ?

La société mue, l’information se démarchandise, se diffuse mieux et plus vite. Alexandre Jardin, avec d’autres, plus nombreux qu’on ne le croit l’ont comprit et accepté.

Excédé d’ailleurs, depuis « Des gens très bien » (2011), l’auteur a largué les amarres familiales, mené sa révolution mémorielle. Avec « Joyeux Nöel », il a poursuivi l’entreprise de dévoilement qu’il a élargi, et qu’il rêve de voir appliqué à la société dans son ensemble, en retraçant l’histoire d’une famille emblématique d’une île bretonne qui s’est toujours mentie à elle-même, et qui, un Noël, le soir de la Nativité, décide de renaître à la vérité, non sans souffrance.

L’auteur propose une de ces « femmes sans ombre » (si décriées par Tournier), une île sans angle mort. Et, s’il rouvre le classique débat initié par le Misanthrope sur la franchise, l’hypocrisie, les faux-semblants sociétaux (on connaît tous la conclusion scolaire du rester ferme sur les valeurs indiscutables et souple sur les points mineurs), cette réflexion, il l’applique néanmoins à l’histoire de cette France de la fin du XXe et du début du XXIe siècle, en prenant appui d’abord sur le noyau familial de sorte à agrandir le cercle de l’Utopia au village et aux régions.

Le récit, s’il débute fort (les hommes qui partirent rejoindre les réseaux de la Résistance, abandonnèrent les femmes aux Occupants, les grossesses involontaires, les amours clandestines, le passé qu’on s’invente), se poursuit decrescendo : ça débutait par la duplicité politique, les cadavres dans le placard, ça finit en coucheries - la chaire est triste.

Alors, vaut-il de dire tout ? La seule question valide, celle qui se pose au lecteur, est celle du style. Dire la vérité, oui, mais de quelle façon ? Et à ce jeu-là, s’il ressemble à une impasse, Jardin – faut-il le souligner - ne s’en tire pas si mal.

Jean-Baptiste Kiya

À mes enfants.


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