Un caillou lancé par la main d’un mort (généalogie génétique)

19 avril 2018

Un caillou lancé par la main d’un mort (généalogie génétique)

Rivalisant avec le chant du coq, l’appel à la prière troue le ciel pâlissant et achaudi qui surplombe Dembeni ; la litanie répercutée sur les toitures du bidonville qui dégringole sur la mangrove où le lagon vient s’achever en boue se mêle aux voix ensommeillées, aux bruits d’eau, au claquement nonchalant des savates qui traînassent le long des ruelles étroites, un mélange sonore qui emprunte quelque chose d’acide et de froid aux tôles légères. Plus possible de dormir.

De brefs sifflets se mêlent alors à l’appel à la prière. Trépignements, coups sourds, des cris étouffés, un désordre obscur, inhabituel.
Deux garçons d’une légèreté quasi surnaturelle détalent moitié nus dans la mangrove, l’impression qu’ils dégagent est qu’ils pourraient tel le Christ sur le lac de Galilée continuer à courir sur la mer, des gendarmes les regardent partir, trop harnachés pour les courser, pendant que leurs collègues forcent des portes, hèlent les ombres, demandent les papiers, torche en plein visage, et sans attendre la réponse, sachant qu’ils ne savent pas le français, les intiment de sortir. Le seul mot que les militaires connaissent c’est « Araka », « Dépêche ! ». Tout ce monde-là est poussé vers les hauteurs où stationnent des camions kaki et bâchés ; les bananes sont encore au brasero, l’eau aux seaux ; pleurs, gémissements, visages apeurés, ballots de linges encore mouillés. Les militaires bardés, gilets pare-balle, embarquent de pauvres gens habillés à la va-vite dans des camions de troupes.
Le pays n’est pas en guerre, on le croirait.

Femmes, enfants, vieillards s’entassent comme des prisonniers d’une drôle de guerre contre l’humanité, contre la pauvreté. Les uns derrière les autres, les véhicules s’ébranlent et prennent la route de Petite Terre, centre de rétention de Pamandzi. Sous la bâche, surveillés par les hommes encagoulés, des vieillards, des grosses femmes avec leurs gosses collés se tournent vers une jeune et jolie fille serrée parmi eux.
Les pépés qu’on voit se déhancher en boîte de nuit du chef-lieu, et bien en vue aux terrasses des cafés branchés ne sont pas inquiétées, elles n’ont pas besoin de papiers : leur insolente beauté leur sert de passeport ; elles portent des liasses de billets de 500 euros dans leur sac de marque vide.
Mais ce n’est pas le cas de cette fille qui pleure en silence. Elle n’en est que plus belle. On ne lui reproche rien, on en est triste.
Dans son ventre, un enfant qui ne sait pas.
Elle l’a dit - elle aurait dû se taire. Son amant était militaire, marié, gradé – elle pensait avoir trouvé une « protection », ça s’est retourné contre elle.
Elle lui a dit qu’elle était enceinte. Tout à sa joie, elle n’a pas vu son air gêné. « Ah, c’est bien… C’est bien… De, combien de temps ?… » Elle s’est serrée contre lui. Il est parti peu après. La semaine qui suivait, ils étaient six à l’attendre devant sa porte. Échange de signes, et « Dehors ! »
Sous la bâche, ballotée, elle sait, elle pleure.
Elle va accoucher d’un enfant métis seule, à Anjouan, qu’elle cachera, discriminée dans une contrée où le regard sur la mère célibataire est terrible. Peut-être retentera-t-elle la traversée, seule, mais si elle le fait, même si les fonctionnaires contractualisés retournent à la case départ, ce sera avec un objectif arrêté.

À huit mille kilomètres, en plein cœur de Paris, la ville-lumière, les députés en smoking cravate se pavanent dans les cocktails. Ça parle haut, ça rigole. Ceux-là n’appartiennent pas à la fange qui fait des fils de la chair à canon et des filles de la chair à patrons. C’est cette caste qui dicte la loi à la France, la grande Hypocrite juchée sur des hauts talons par des gens aisés et retors.
En France, il sera interdit au gamin anjouanais de faire un test de paternité.
Interdit à la mère de réaliser le test qui la soulagerait de savoir si les infirmières ne se sont pas trompés de nourrisson à la maternité, malgré les boucles blondes.
Interdit au père en charge de l’enfant porteur de handicap de savoir d’où vient la réduplication chromosomique qui affecte son fils, même s’il a su après les frasques de son épouse.
Il y a cet homme qui s’entend dire au lendemain de son divorce par son ex-épouse qu’il n’est pas le père de l’enfant commun : comment savoir si la loi l’interdit ?
La loi française, n’est-ce pas ?, stipule que celui qui réalise un test génétique à l’étranger court une amende de 15 mille euros et un mois de prison. Reste que les packs sont disponibles sur internet, en Suisse, en Allemagne, en Belgique, aux Etats-Unis…
« Les serveurs de données de ces laboratoires étant situés à l’étranger, la loi française ne s’applique pas (signale Nathalie Jovanovic-Floricourt, dont le manuel paradoxal rencontre un franc succès). Néanmoins, le fait d’acheter à l’étranger un service dont la vente est interdite en France est punissable, mais aucune action n’a jamais été engagée pour une démarche individuelle purement généalogique ».
« Les yeux d’Elsa », d’Aragon, livre de dimension carrée publié chez Seghers. Dépôt légal du 4e trimestre 1962. Trois uniques lignes à la graphie familière sur la page en regard de l’ouverture au « Cantique à Elsa » : « Où donc cet homme peut-il puiser tout cet amour vibrant chaud vivant comme une flamme, pour sa femme ? » Quand les parents mentent une fois à leurs enfants, pourquoi ne mentiraient-ils pas une seconde fois ?

Une étude publiée en 2009 par la revue The Lancet explique que des chercheurs en génétique travaillant sur plusieurs générations ont dû écarter 10 % de leur échantillon pour cause de « surprises » dans la filiation. L’article conclut ainsi : un enfant sur trente en moyenne n’aurait pas été conçu biologiquement par son père - des chiffres qui toutefois ne prennent pas en compte les milieux géographiques et les classes sociales dans lesquelles surviennent ce genre de faits.
Mater sempre certa est, pater sempre incertus, dit l’ancien adage romain : si la femme est certaine, pourquoi ne pas donner au père la possibilité de l’être à son tour ? De quelle égalité la France se targue-t-elle d’être la championne, et qu’elle orne à son blason ?
N’avez-vous pas remarqué combien les juges aux affaires familiales et les avocats de concert planifient le désastre financier, combien ils s’arrangent, durant toute la durée de la procédure de divorce, de sorte à ponctionner les comptes en banque et priver les intimés des ressources qui leur permettraient d’opérer une telle recherche.
Après, le dossier est clos. Et en France, quand un dossier est clos, on le garde tel. Autant dire qu’on s’assoit dessus : une politique qui permet à la justice d’économiser. Il en faut considérablement pour rouvrir une instruction : en France, la justice ne se trompe jamais.
Les milieux bourgeois restent très attachés à leurs secrets de familles, aux mensonges bétonnés d’héritages, à tout ce qui empoisonne les relations et les familles.

En Allemagne, le phénomène a pris une telle ampleur que le parlement a légiféré. “Kuckucksinder” est leur nom : “les enfants du coucou”. Le coucou étant une espèce qui pond dans le nid des autres, afin d’assurer la couvaison de l’œuf et l’alimentation du jeune oiseau. La loi votée en 2016 vise à ce que les femmes (si toutefois le père de l’enfant-coucou souhaite faire participer son homologue biologique aux frais d’éducation) indiquant le nom du géniteur de l’enfant lorsque celui-ci est né d’une relation extraconjugale.
Marcela Iacub franchit un autre pas dans sa réflexion au nom du principe de l’égalité des sexes : il est temps, déclare-t-elle, de penser à un droit à l’avortement social des pères, les mères ayant plusieurs moyens de renoncer à l’enfantement : demande-t-on par exemple à une mère ayant accouché sous X ou ayant mis son enfant à l’adoption de payer une pension alimentaire ? Elle précise qu’il s’agit là d’une discrimination existante et taboue.

Jean-Baptiste Kiya


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