Une malle-poste en forme de nuit blanche (Hoffmann)

29 mars 2018, par Jean-Baptiste Kiya

Contes fantastiques d’E.T.A. Hoffmann, éditions Grands Écrivains (traduction XIXe siècle de Loève-Veimars).

Le 29 août 1817, de haut en bas, l’Opéra de Berlin se décompose. Une à une les vitres éclatent, les peintures coulent le long des fenêtres. Le bâtiment est surmonté d’un panache, il brûle. Vertige sans nom de voir les pans d’étoffes bigarrées de costumes tournoyer en un ballet aérien, les perruques du magasin des accessoires enflammées passer dans le ciel comme des météores… Quel nouveau spectacle se joue ici accessible aux plus démunis ?

Les Nachtstücke, ces contes nocturnes, n’est-ce pas ?, sont des flammes qu’allume celui qui pense à une Ondine…

Qu’était donc joué à guichets fermés, à l’Opéra cet été 1817 ? « Ondine » d’E.T.A. Hoffmann. Le bâtiment qu’éclaire le ciel dédouble le crépuscule d’été d’une lueur autrement plus vivante, d’un incendie aussi palpitant qu’un cœur emballé. Seule une Ondine pourrait éteindre une telle âme. Où es-tu, Ondine ? Dans quel palais de Rêve es-tu partie ? Chasses-tu encore ou es-tu chassée ? Dis-moi à quelle porte toquer ?

La lune ne saurait m’éclairer, depuis le temps qu’elle est aveugle - une taie blanchâtre couvre son œil. Dis-moi, Ondine, dans quel monde, plus lointain que l’océan de glace, te loves-tu, avec ton âme ravie, celle d’un homme transi qui te disait sans doute : « Puisque je ne suis pas assez beau pour te plaire, je voudrais être un monstre de laideur pour que tu sois forcée de faire attention à moi » ?

C’est la tragédie des anciens temps qui se rejoue dans la grimace du feu asséchant les rêves les plus fous d’un artiste à demi-pendu.

Quand bien même l’âme d’Hoffmann-Huldebrand devrait-elle être entraînée au fond des eaux qu’elle s’embraserait et s’éparpillerait haut dans le ciel parmi la nuée orageuse de Berlin.

La grimace, jeune homme, ne se dessine point sur ton visage, ce furent tes œuvres qui grimacèrent…

« L’âme de l’artiste, écrivais-tu, flotte sans cesse dans une mer de doutes et d’incertitudes. Il voit l’infini, et il sent l’impuissance d’y atteindre. Mais bientôt il recouvre un courage divin ; il combat, il lutte, et le désespoir même lui donne la force de poursuivre le rêve chéri qu’il voit toujours plus près de lui, et qui le fuit sans cesse » (La Cour d’Artus). Sanglier blanc des légendes celtiques pourchassé par les chevaliers, les devançant sans cesse, jusqu’à ce que tu les entraînes dans quelque autre monde où ils te perdent, que cherchais-tu ?

Que disait la ritournelle du violoneux ? Nouvel Icare, ce benêt d’Hoffmann brûlait d’atteindre le ciel avec sa plume, quitte à plumer toutes les oies du ciel. Davantage porté par le rêve de l’amour que par le vent véritable, l’eau lui a engloutit la cervelle, l’eau d’Ondine !

Mon dieu, comme le temps a passé ! « Plus d’une fois, au milieu de joyeux compagnons et autour d’un punch bleuâtre, il lui est revenu d’amères pensées, des regrets du cloître et de la vie des vieux temps, et, comme il l’a dit lui-même, un amour inouï, un désir effréné pour un objet qu’il n’aurait pu définir », écrivit Sainte-Beuve, dans ses Premiers lundis. Jusqu’où va se loger Ondine ? Jusqu’entre les pensées, entre les mots…

Les esprits de la terre et du feu lui apparaissent alors dans les flammes du punch qui lui allume l’œil. La nuit, dans le craquement des parquets, et le sifflement du vent dans les rideaux, il rêve de machineries, d’automates et de miroir magiques. On trouve la même nuit que ce soit au fond des grottes, comme au fond des abysses. Il note au petit matin : « Rêve. La police enlève toutes les horloges des tours et saisit toutes les montres, parce que le temps doit être confisqué ». Oui, vieillard facétieux, Ondine a supprimé le temps avant que la police ne l’ait arrêtée, et elle s’en est montrée fort dépitée.

Je me berce de l’illusion que derrière les apparences les plus futiles, les mots les plus lâches et les attitudes les plus vaines se dissimulent des vérités secrètes, troublantes, brûlantes, et que sous chaque pierre se cache l’innommable. Il y a là les doubles là que seuls les vrais poètes savent ouvrir !

Le jour, conseiller à la Cour, tu dessines dissimulé par tes Codes de lois des caricatures et des portées de notes, digne du meilleur “cuistre musical”. La nuit, tu plonges dans les sciences occultes. Ondine encore chante en toi, et on dit qu’elle te tuera. Tu t’es peint en Virgile, n’est-ce pas ?, guidant dans les Enfers le lecteur apeuré. “Cette sérénité intérieure sans laquelle il n’est pas de poète tragique”, disais-tu dans “Zacharias Werner”, George Sand la lisait dans ton œuvre, n’est-ce pas ? « Jamais esprit d’homme n’a pénétré plus franchement et plus nettement dans le monde des rêves, nul n’a marché avec plus de logique, de sens et de raison à travers les fantaisies de l’induction poétique, nul n’a moins cédé à son imagination.

L’imagination était pourtant son élément vital, son monde réel, le champ de sa pensée (…). Il s’y promena avec tout le calme d’un esprit souverainement logique, et c’est au sang-froid qu’il conserve au milieu de ses visions qu’il faut attribuer le grand charme de ses compositions fantastiques » (Entretiens journaliers). Rien n’est plus trompeur que la réalité, n’est-ce pas ?

Mais aujourd’hui, on n’a plus d’estomac, tu sais, c’est fini. C’est en malle-poste qu’on voyage le mieux. La littérature a abandonné et ses aspirations, et l’infini à la science que Descartes a forgée. On lui a tout laissé, il ne reste que des ruines, on n’ose plus rêver.

Qui te lis encore, mon bon ? « Les vieux ouvrages ne conviennent plus du tout à la faiblesse de notre constitution et nous ne pourrions les digérer » écrivais-tu ? Un crève-cœur qui fait qu’Ondine pleure, et que de ses larmes coulent tous les fleuves du monde.

Mais ne dit-on pas que tout au fond, dans les entrailles de la terre, les eaux et le feu originels (ou l’amour ardent et les pleurs - à votre convenance), se rejoignent et ne font plus qu’Un, enfin ?

Jean-Baptiste Kiya


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