20 désemb

Bourbon pointu (7)

9 janvier 2016, par Jean-Baptiste Kiya

Alexis se mit à regarder de l’autre côté, dans le vague, vers l’immensité de la mer. Puis, soudain, comme s’il se réveillait d’un rêve, il se mit à héler son domestique :

« LENDORMY ! LENDORMY ! Où tu étais ? Ça fait une demi-heure que je t’appelle ?…

- J’étais là, maître, en train d’aider à…

- SUFFIT ! Où est Rose ? J’ai besoin de lui parler ! » C’était la belle cafrine, une Malgache, ironiquement baptisée ainsi, petite, parce que sa peau était très foncée.

Une scène se préparait, comme les nuages se ramassent en tempête sur le haut des pitons.

Les deux esclaves s’étaient concertés, et pendant une absence du maître du domaine, ils étaient venus se confier à Paul de Miranville qui fut touché par cette passion. Il organisa leur fuite, ayant pris soin au préalable de faire monter dans la forêt des vivres.

« Toutes les semaines, je te ferai porter des vivres, et des graines. Elles seront déposées à la Dent de Chien. Chaque fois, vous ferez brûler le panier.

- Grand merci, maître.

- Ne me remercie pas, si j’avais été à ta place j’aurais souhaité qu’on en eut usé de la sorte. Dès que tu t’enfuiras avec Rose, je lâcherai des chiennes en chaleur en travers pour qu’elles troublent la piste. Bonne chance… Pour communiquer, un crayon et du papier seront glissés dans la doublure du panier, avec ce que je t’ai appris, cela ira. »

La nouvelle de la disparition de Rose rendit fou de rage Alexis de Mirecourt. Il se dépêcha d’aller trouver Paul de Miranville.

« Où est Joshua ?, cria-t-il presque.

- L’esclave ?

- Oui l’esclave Joshua !

- Je lui ai confié la barque. Il l’a prise au mouillage de Sainte Suzanne. Il me doit rapporter du poisson frais… »

Paul regarda le cavalier dévaler la pente ; il souriait. Bien évidemment, on ne trouva ni la barque, ni l’esclave qui devait la conduire.

Le jeune maître répandit la nouvelle que son domestique s’était noyé avec une esclave marronnée et qu’ils filaient tous deux le parfait amour au fond de l’océan…

La semaine écoulée, un cavalier fit son apparition devant la varangue. Alexis de Mirecourt sans descendre de sa monture appelait son voisin.

« À Versailles, je chassais le perdreau et le sanglier, ici je chasserais le cochon de Noir. Pourquoi ne te joindrais-tu pas à moi, Paul ? Tu as des esclaves qui ont marronné, il me semble… »

Paul devinait ce qu’Alexis avait en tête : retrouver Rose et tuer Joshua.

« Sans façon. Un excès de bile jaune, des rougeurs au niveau du cou… Je crains, Alexis, qu’une course d’une telle ampleur ne soit préjudiciable à une santé déjà chancelante, ces derniers temps.

- Soit. Je ferai préparer les chiens et mes piqueurs, nous partirons demain à l’aube, si Dieu le veut ».

Et le cavalier fit demi tour.

Le lendemain, Paul sella sa monture, et se dirigea vers le chef-lieu. Quand il traversa la ville de Sainte-Suzanne, quelques négrillons se mirent à courir derrière son alezan, poussant la comptine :

« Zourit anlèr pédboi
Inn, dé, troi, rouri anlér piédboi
Kat, sink, sis, la tonm si koksis
Sèt, uit, nèf, son tèt bèl kom dézèf
Diz, onz, douz, i fo ali in vantouz
Trèz, katorz, kinz, i fo paf é le sinz
Sèz, disèt, dizuit, kan ou lé in zourit
Diznèf, vin, in zour ou va krèv an shien »…

…’Il ne faut pas faire le singe quand on est un zourite !’ Voilà ce que chantaient ces enfants, envoyés certainement par leurs petits maîtres. ‘Sinon, tu vas crever en chien’. Le zourite est blanc ; la pieuvre, c’était lui.

En passant près du tamarinier sur la place de l’église, il entendit une conversation sur un ton suffisamment haut pour qu’il pût la percevoir :

« Il paraît qu’il y a un Blanc qui se prend pour un Noir.

- C’est appréciable : on manque d’esclaves… »

(Suite au numéro de mardi…)


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