MAYOTTE

L’UDJANDJA (4)

12 juillet 2013

Les villageois regardaient venir Madi Medhi d’un air désapprobateur. Toute sa famille et ses proches étaient là. Les uns jouaient aux dominos, les autres somnolaient à l’ombre des bananiers. On soufflait. L’heure de la prière était passée. Le cadi du village le héla :

« Ah, enfin, te voilà ! Où est-ce que tu étais passé ? On n’attendait plus que toi !

- Mais pour quoi faire ?...

- Pour faire ce que l’on doit faire à ce moment-là !... ».

Un des notables du village renchérit : « Je n’ai jamais vu un mort aussi en retard ! ».

Madi Mehi découvrit, posé sur le sol, le catafalque musulman (celui-là même qu’un Blanc avait pris pour un de ces anciens lits à baldaquin sur lequel, à la place de la moustiquaire, trône un drap blanc brodé de vert d’un verset du Coran, pour lequel, comme on le raconte au village, le Muzungu avait offert un bon prix). Or, sur ce lit du dernier sommeil se trouvait la photo de Madi Medhi…

« Tu en as mis du temps ! On n’a pas que ça à faire !..., reprit le fundi.

- Mais qu’est-ce qui vous prend ?

- Ça suffit ! Les morts ne parlent pas ».

Une voix dans la foule du village s’éleva : « Si les morts ne respectent même plus la mort, où on va ? ».

Centre de tous les regards, Madi Medhi était hébété, incrédule. Il bafouilla : « Je ne comprends pas, que faites-vous tous là ? Oudzissa tsi ou laba  : il n’est pas idiot de demander… ».

Les villageois d’une même voix : « On t’attend pour t’enterrer.

- Quoi ?

- Oui, tu as bien entendu, lui cria son frère. Enterrons-le, et qu’on en finisse !

- Ah, vous voulez ma mort ?

- Allez, papa, fais pas de manière, va te mettre dans ta tombe, on sait bien que tu es mort ». C’était son plus grand fils.

« Je vous en supplie, je ne suis pas mort… Et toi, tu vas voir de quel bois je… ».

Son second fils le coupa : « Si, tu es mort ! ».

La foule s’impatientait et piétinait. « Allez, c’est terminé : tu ne vas pas te plaindre plus puisqu’on va t’enterrer… ».

Mal à l’aise, il désirait interrompre ce malentendu, mettre les voiles en tournant le dos, mais le problème, c’est qu’il avait peur. Des hommes l’entouraient. Et puis, s’il arrivait à s’éclipser, si on le voyait ensuite dans le village, on pourrait dire que c’est un fantôme... Et alors, on le chasserait à coups de pierres.

Le cadi reprit : « Allez, ne fais pas de manières. Va te mettre dans ton tombeau, mon garçon.

- Mais enfin, regardez bien : je suis vivant, je parle, je bouge...

- Non, mon frère, tu es bien mort ».

Une voix parmi les assistants monta : « Allez, allonge-toi dans la tombe… Tu n’en auras pas pour bien longtemps. Tu me dois bien encore 25 euros, je les donne à ta femme, je suis fatigué d’attendre. Le cadi va lire le Coran ». C’était Salim le boutiquier.

« Mais puisque je me tue à vous dire que je ne suis pas mort !...

- Ah, tu vois ! Tu le dis toi-même… ».

Il pleurnichait : « Enfin, je vous en supplie : je vous jure par Allah que je ne suis pas mort.

- Mets-toi d’abord dans le drap blanc, là…

- N’aggrave pas la situation, mon frère... Va vite dans ta nouvelle maison, tes ancêtres t’attendent… ».

Sa propre femme se frappait la poitrine et pleurait : « J’ai été obligée de supporter ce piètre mari qui a passé sa vie à être plus mort que vivant, même Allah a été obligé de supporter ses plaintes ! Et voilà que mort, tandis qu’Allah le rappelle à lui, il n’écoute pas ! Ah malheur de Kadidja ! Malheur de malheur !... ».

Le cadi proposa de commencer.

Les autres ensemble : « Oui, on commence ».

Alors, on tourna les paumes vers le ciel.

Le cadi : «  Bissimi lahi, au nom d’Allah, nous sommes réunis ici à présent afin que notre ami qui vient de nous quitter… ». Se tournant vers Madi Medhi, il dit en manière de reproche : « Nous prions tous pour que tu ailles au paradis. Le chemin est long... ».

On lui désignait un trou dans la terre.

« Comment voulez-vous que j’entre là-dedans ? », se plaignit-il.

On amena un drap blanc, et sans qu’il ait la présence d’esprit de réagir, on l’en entoura.

« C’est très facile, papa, il suffit de descendre dans ton trou...

- Mais je suis trop gros. Y a pas la place… ».

Quelqu’un lança, ironique : «  Moutrou a dzeya ou jamba oiye kalawa oulawa traka, Celui qui a l’habitude de faire des bêtises ne manque pas de kilos… ».

Mais voyant que tout le monde le fusillait du regard, il alla s’allonger précautionneusement dans son trou, en gémissant :…

(Suite au numéro de mardi)

Jean-Charles Angrand


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