Chronique de Raymond Mollard

Qu’est-ce qu’elle a sa gueule ?...

30 novembre 2010

L’événement stratégique majeur de la semaine écoulée s’est produit dans le champ éditorial. Il s’agit bien sûr de la distribution dans nos boîtes à lettres du deuxième numéro de “Réunion Mag’”, le magazine trimestriel d’information du Conseil régional, qui, tout en nous initiant à la nouvelle philosophie de « La Réunion en confiance », illustre brillamment sur 48 pages le bien-fondé de la fameuse maxime de Jules Renard : « Penser ne suffit pas, il faut penser à quelque chose ».
Au plan photographique, la performance est de taille, ce dont s’amuse “Le Quotidien” de samedi dernier, en précisant que « le président apparaît 41 fois en 48 pages, un record absolu en la matière ». Effectivement, il y a là de quoi figurer plus qu’honorablement au palmarès du concours “Ma binette partout” publié chaque semaine par le “Canard enchaîné”. C’est un atout que seuls les sots sous-estimeront, vu l’impact qui peut en résulter sur le plan de l’attrait touristique.
Cette omniprésence photographique a dû ravir ses fans, leur donnant l’impression de feuilleter le catalogue de “La Redoute” en découvrant, page après page, une succession de cravates et de complets-vestons habités par le même visage au sourire stéréotypé et au look BCBG qu’on trouve dans ce genre de publications. A l’UMP, question style politique, on a choisi depuis longtemps entre le “fashionable” et la savate deux doigts...
De grands bravos, donc, pour la forme. Pour le fond, les fans n’ont pas dû non plus être déçus, puisque, passant de l’élégance de “La Redoute” à la profondeur de “Gala”, “Réunion Mag” fait défiler sous nos yeux, de Matignon à la Villa du Lagon, tout un gotha d’excellences ministérielles : François Fillon, Brice Hortefeux, Dominique Bussereau, Luc Chatel, François Baroin, Georges Tron, Hervé Novelli, sans oublier M. Bodha, ministre mauricien du Tourisme, et quelques seconds couteaux à fines lames qui nous pardonneront d’avoir oublié leurs noms... Franchement, à voir tant de bonnes fées s’intéresser à eux, c’est un miracle que les Réunionnais puissent encore profiter du chômage, de la pauvreté, de l’illettrisme, de la crise du logement, de l’échec scolaire et autres joyeusetés qui font leur vie quotidienne, et ils n’en remercieront jamais assez les illustres amis de Didier Robert...
Mais il en va des idylles politiques comme des autres : on n’est jamais certain qu’après le strass et les paillettes ne surgiront pas les larmes et la déception. Aussi n’est-il pas inutile de détecter, derrière l’enthousiasme de façade dont la revue nous inonde par millions de pixels, les signes qui nous conduisent à relativiser notre bonheur. Et là, le maquillage se craquelle parfois de bien vilaine façon. Quelques exemples.
Page 8, le tableau chiffrant les nouveaux Accords de Matignon proclame qu’alors que les Accords de 2007 prévoyaient un remboursement annuel de la Région de 132 millions d’euros/an pendant 40 ans, celui de 2010 limite ces sommes à 39,5 millions d’euros/an pendant 35 ans.
Sans même préjuger de la vraisemblance des sommes (notamment les 220 millions d’euros attendus de la “Société aéroportuaire”, et qui seront de ce fait pris dans la poche des Réunionnais), force est de constater qu’entre les deux accords, a disparu tout simplement... le tram-train ! Que les 2.000 bus du Trans-Eco-Express sont aujourd’hui reniés par leurs géniteurs, et que la nouvelle route du littoral, avant d’être un miracle technologique, se résume à un mirage financier d’un milliard six cents millions d’euros (soit la bagatelle de 142 millions d’euros le km), et que comme tout mirage, plus on avance, plus il recule, se profilant pour l’instant à l’horizon 2020. Résumons : au lieu de payer cher et longtemps pour avoir tout, les Réunionnais paieront longtemps et cher... pour n’avoir presque rien ! Consolons-nous cependant : en rendant à l’État quelques centaines de millions, nous lui aurons au moins permis d’assurer la paye de décembre de tous ses fonctionnaires. Bien sûr, feu Raymond Barre, qui n’a jamais pris les vessies pour des lanternes, aurait appelé ça « le trompe-kouyon du siècle », mais que connaissait-il, le bougre, de la nouvelle philosophie régionale ?...
Page 22 est célébrée l’inauguration du lycée de Sainte-Anne, qui est certes un magnifique ouvrage, mais dont la conception et la réalisation ont été intégralement conduites par l’ancienne majorité. Pas un mot, par contre, des trois nouveaux lycées qu’elle avait programmés à Sainte-Marie, au Port et à Petite-Ile.
Espérons qu’ils ne sont pas allés rejoindre les 2.000 bus dans la corbeille à papier des projets abandonnés, et qu’après le POP des ordinateurs ne s’annonce le flop des lycées. Il est vrai qu’on sort brusquement du chapeau (p.20) le projet d’« un lycée Sports Etudes Football avec une vocation internationale ». Les 1.500 élèves de Troisième (dont la moitié de filles) qui ne trouvent pas d’orientation en L.P. à chaque rentrée scolaire seront ravis : c’est sur les traces de Zizou qu’ils pourront dans quelques années entrer dans la carrière. Ils ne perdent rien pour attendre...
Page 24 est annoncé un effort inédit sur l’apprentissage, se traduisant par l’ouverture, à la rentrée 2010, d’un CFA à l’Université et de 5 sections d’apprentissage dans les lycées. Là encore, le cocorico est celui du coucou plutôt que du coq, puisque ces décisions — qui marquent effectivement une étape nouvelle dans la politique régionale de formation — sont exclusivement dues à l’ancienne majorité, et ont été, après deux ans de consultations, votées par la Commission permanente du 9 mars 2010.
Arrêtons là cette liste des contrefaçons, qui pourrait s’allonger indéfiniment. Et disons pour positiver que, même si l’Alliance n’est jamais nommée, ces fausses nouveautés s’étalent comme autant d’hommages du vice à la vertu.
Ce qui est plus grave est ailleurs. C’est l’absence totale de vision, de souffle, de hauteur de vue, bref, de projet politique. Les grands enjeux fédérateurs comme les énergies nouvelles, le S.A.R., les changements climatiques, la recherche-formation, la solidarité sociale, la culture, l’intégration régionale, sont évacués.
A leur place s’étale page après page un clientélisme à la petite semaine, une gestion d’épiciers. A toi jeune homme un portable en promotion, à vous madame un morceau de billet d’avion. En lieu et place d’un hôtel de Région, une boutique de gadgets en solde. Exactement ça, hélas : un petit commerce de proximité...

Raymond Mollard

Didier Robert

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