Votons pour « une utopie parfaitement réaliste »...

11 octobre 2011

N’en déplaise à M. Copé et à son ironie bilieuse, la large participation aux primaires citoyennes de dimanche prouve sans contestation possible qu’au plan national comme au plan local, les citoyens — au Parti socialiste certes, mais aussi bien au-delà de ses rangs — sont demandeurs d’une démocratie réelle, qui soit à la fois participative, directe, transparente.
C’est pourquoi la franche adhésion populaire qu’a suscitée le scrutin d’avant-hier doit, au tout premier chef, être comptée comme une avancée fondamentale des pratiques démocratiques de la République.
Mais au même titre que la participation, la qualité du débat préalable au vote doit s’apprécier comme un progrès lui aussi considérable.
Ces débats télévisés nous ont en effet montré des personnes dialoguant avec courtoisie, respectant le point de vue des autres même quand elles ne le partageaient pas, présentant leurs propres propositions sans manichéisme, ni sectarisme, et ouvrant d’ores et déjà la voie au travail de synthèse qui, quelle que soit la personne finalement désignée, s’avèrera nécessaire pour que sa candidature devienne bien celle de la gauche unie.

Les problématiques majeures qui pèsent sur la vie publique et préoccupent principalement la population ont fait l’objet de constats, d’analyses, de propositions diversifiées : l’emploi, les prix, l’économie, la crise, la jeunesse, l’éducation, l’environnement, la santé, la solidarité ont donné lieu à des développements nombreux et diversifiés, sans que la question soit jamais conclue par un credo définitif, ni bloquée par une vérité révélée, de telle sorte que chacun pourra forger sa propre opinion sur chaque point, ce qui, sur des thèmes comme l’Europe, la mondialisation ou l’Outre-mer français (pensons à ce qui se passe à Mayotte), nécessitera assurément des développements ultérieurs approfondis.

Bref, le pays a échappé, l’espace d’un dimanche, à cette atmosphère étouffante de coups fourrés, d’écoutes téléphoniques illégales, de flics ripoux, de procureurs carriéristes, de rétro-commissions pharaoniques, de “rumeurs” journalistiques ourdies dans les officines du pouvoir et orchestrées par la presse aux ordres de services spéciaux dévoyés dans leur mission, de cette rebutante suppuration de magouilles, de valises de billets, de trafics d’influence, d’ambitions personnelles, de népotisme éhonté, qui constitue le fonds de commerce de l’insondable tout-à-l’égout politique que l’Histoire rangera (le plus tôt possible, espérons-le !) sous la peu reluisante étiquette de « sarkozye politique »...

C’est à la lumière de ce constat que doivent s’entendre les braiements ironiques d’un Jean-François Copé, leader d’un parti dont, ne l’oublions pas (il faudrait le rappeler à tous les élèves des cours d’éducation civique), les dirigeants dans chaque département sont non pas élus, mais nommés par la troïka présidentielle. Nommés, oui, nommés, ceci presque deux siècles et demi après la prise de la Bastille ! On comprend pourquoi notre Président préfère le curé à l’instituteur : il s’applique à nommer ses sous-fifres comme le Pape ses cardinaux ! La fossilisation démocratique est en marche...
Et là est bien le choix historique qui se présente à la nation, et notamment à nos jeunes, qui n’en peuvent plus de supporter cette gouvernance illisible parce qu’obscure de mandarins parachutés par Paris, d’épiciers planétaires appelant, la bouche pleine, les plus humbles à se serrer la ceinture, de gardiens de la loi piétinant toute légalité : instaurer une authentique démocratie en rendant, tout simplement, à la majorité du peuple le pouvoir qu’on cherche à lui confisquer par la conjonction mafieuse du mensonge, de l’argent et du clientélisme politique.

C’est peu dire qu’il y a urgence. Dans son essai récemment paru, “La Société des égaux”, l’historien et professeur au collège de France Pierre Rosanvallon pointe la véritable régression civique que marque, en France comme en Grande-Bretagne, aux États-Unis et dans bien d’autres pays dits « développés », le creusement vertigineux des inégalités (*).
En présentant son ouvrage dans un numéro récent du “Monde”, la journaliste Julie Clarini résume sa pensée en posant sans détour la question suprême :
« La démocratie peut-elle survivre comme régime politique quand elle n’existe plus, ou si peu, comme société ? A quel niveau d’inégalité le contrat démocratique sera-t-il définitivement miné, préparant le terrain au premier autocrate venu ? » (**)

En vérité, notre société en est là. Tout près du point de rupture. Et seul un changement rapide et radical vers de nouvelles perspectives, à la fois plus égalitaires pour les individus et plus généreuses dans la construction du lien social, évitera la déchirure, voire l’affrontement ou le chaos.
Comment refonder la démocratie en conciliant l’égalité et la liberté ? Comment arracher l’État à la voracité du capitalisme financier ? Comment faire respecter nos différences tout en construisant notre “maison commune” ? C’est en répondant à ces questions, et pas autrement, que « faire société » deviendra, pour reprendre l’ambitieuse formule de Rosanvallon, « une utopie parfaitement réaliste ».
C’est pour cela aussi, c’est pour cela surtout, que nous serons de ceux qui reprendront le chemin des urnes dimanche prochain.

Raymond Mollard

(*) “La Société des égaux”, collection “Les livres du Nouveau Monde”, éditions du Seuil, sept. 2011
(**) “Le Monde” du 02.09.2011


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