L’enfant ogre

31 juillet 2012

’Handicapable !’ est le nom d’une rubrique bi-hebdomadaire qui couvre les vacances d’hiver et dont l’objet est d’évoquer non tant le handicap que le handicapé à travers des histoires qui le mettent en scène. Les récits qui vous seront proposés les mardis et vendredis cherchent à faire découvrir ce que représentent les mots — parfois inquiétants — de myopathie, de dyslexie, d’autiste, de mutisme, de paraplégie, de trisomie..., et à nous rendre plus proches ces affections, au double sens du terme. Mieux regarder le handicap est le défi d’’Handicapable !’.

La dyslexie — 3 —

C’était amusant le Poète et Pierrot, qui n’ayant pas leur place sur Terre, préféraient l’exil dans la lune pour pouvoir enfin présider sur quelque chose : sur leur rêve, et ils en emportait avec eux le récitant qui terminait le poème la bouche en forme de lune.
Ou encore cette vieille ritournelle tourangelle du XVIIIème siècle :
« Dans le mitan du lit
La rivière est profonde...
Tous les chevaux du roi
Pourraient y boire ensemble... »
Des vers qui faisaient penser, au travers du voilage délicat des mots, à un sommeil d’anges troué de rêves lumineux.

Org s’était retrouvé emporté par cette nécessité des mots, comme la mer emporte la barque. Il apprenait par cœur et ne pouvait rien oublier, c’était plus fort que lui. Manger quoi que ce soit, c’eût été rendre le beau laid. Il était pris aux filets du rythme et des rimes, emporté par les syllabes et les césures. Il se prit à observer les mots, à les contempler, à les apprécier, à reconnaître leur entière nécessité. Il les vit comme chaque pièce d’un puzzle qui, s’il en manquait un, gâchait l’ensemble. Comme la petite chose fait la grande ! Il commença alors à préserver la poésie et le sens, comme on cajole un bébé oiseau sorti de son nid.

Cet objet, l’objet poème, devenait sa chose. Il en prenait soin, sous peine de le perdre. Ainsi Org commença à respecter les mots et réfréner sa fringale. Il se rendit bien compte que, dans les dictionnaires, il y en a d’admirables, des mots. « Boursouflé », c’est drôle ! « Bienfaisance », c’est deux mots qui ont uni leurs forces... Dans « nonchalant », il y a « non ». « Courage » vient de « cœur » ; « partage » est proche de « partir » ; et le mot « cil », comme il dit bien la petite chose en remontant !

Org naquit alors une seconde fois et ce fut au langage. Il devint peu à peu un champion de vocabulaire, et brillant élève en français. De temps à autre, il mangeait quelques mots, parfois des phrases entières, mais seulement quand c’était mauvais et mal écrit. Et par cette méthode, il acquit le goût de la bonne littérature, lorsque le mot est juste, qu’il occupe la bonne place, qu’il fait résonner la phrase entière. On ne peut rien toucher, sinon on détruit le sens. C’est comme danser sur un fil, il ne faut faire aucun faux pas.

Bien plus tard, il devint, à ce que j’appris, chroniqueur littéraire pour un certain journal, ici, à La Réunion. Et en effet, je suis allé voir son travail sur le Net. Je sais qu’à présent, c’est un sacré dévoreur de livres. Ce n’est pas parce qu’il écrivait difficilement qu’il était condamné à rester mauvais en français. Et ça aussi, il a dû l’apprendre.

Car il n’y a pas que des leçons à apprendre, le plus important, c’est qu’il faut s’apprendre soi-même.

Jean-Charles Angrand

- La dyslexie est un trouble spécifique de l’apprentissage de la lecture, lié à une difficulté particulière à identifier les lettres ou les mots qui se manifeste en l’absence de tout déficit visuel, auditif ou intellectuel.

- Les spécialistes estiment la proportion d’enfants dyslexiques à un sur dix, autrement dit, en moyenne trois enfants par classe. Ce qui veut dire un taux de dépistage et une prise en charge réelle extrêmement faible, au regard de cette estimation. Trop rares encore sont les enfants pris en charge par un orthophoniste.

On peut aussi s’interroger sur l’absence de structures adaptées au sein de l’Éducation nationale : pourquoi ne pas intégrer des orthophonistes au sein de l’école ? C’est toute une mentalité à changer.

- Pour en savoir plus, sur la toile :

APEDA, association française de parents d’enfants en difficulté d’apprentissage du langage écrit et oral

Fondation dyslexie, sur la toile.

- Voir aussi l’article en ligne “La demi-place restante” sur temoignages.re/c’en est trope !


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