Le critique d’art

10 août 2012

“Handicapable !” est le nom d’une rubrique bi-hebdomadaire qui couvre les vacances d’hiver et dont l’objet est d’évoquer non tant le handicap que le handicapé à travers des histoires qui le mettent en scène. Les récits qui vous seront proposés les mardis et vendredis cherchent à faire découvrir ce que représentent les mots — parfois inquiétants — de myopathie, de dyslexie, d’autiste, de mutisme, de paraplégie, de trisomie..., et à nous rendre plus proches ces affections, au double sens du terme. Mieux regarder le handicap est le défi d’“Handicapable !”.

La cécité — 1 —

J’entendis une voix derrière moi.
« Vous pouvez me dire où se trouve la Parabole des aveugles ? »
Je souriais, pensant qu’un camarade de fac qui par hasard me croisait au Louvre voulait me faire une farce.
« Devant vous. », ai-je répondu.
« Vous pourriez me le décrire. »
Je tournais la tête. Je découvris un vieil homme avec des lunettes de soleil invraisemblables, montures d’un jaune aussi vif qu’un tournesol de Van Gogh. D’un premier mouvement, j’eus envie de rire visiter un musée avec des lunettes noires, il fallait être dandy ou original, mais je me ravisais à l’idée que le vieux monsieur pouvait être aveugle.
« Quelles en sont les dimensions ? »
Je cherchais du regard le panneau indicatif.
« 86 centimètres sur 1 mètre 54, dans le sens de la longueur, répondis-je. Le cadre suit le cortège des aveugles.

- Vous pouvez me le décrire ?...

- Le premier aveugle, sur la droite, est le personnage le plus bas du tableau, tombé, il est dans la fange, pieds par dessus tête ; le second, derrière, qui s’est accroché à lui, est pris dans la dynamique de chute : à moitié courbé, son visage tourné vers nous qu’il semble prendre à témoin indique la place du spectateur dans I’œuvre qui serait celle de celui qui se tient dans un équilibre précaire. Le troisième aveugle qui s’accroche au précédent par l’épaule, tête en l’air, est entraîné ; trois autres derrière se pressent de la même manière... L’ensemble dans des teintes terreuses, mais avec un côté humoristique indéniable, un côté sarabande catastrophique.

- De quelle couleur est le ciel ?

- Le ciel est d’un gris uniforme, dur, épais, bouché. J’allais dire aveugle.

- Et la scène est approfondie d’un paysage

- La campagne. Au loin, le clocher d’une église catholique. Il semble assez clair que la mise en perspective est protestante.

- Bien sûr... Vous pouvez me dire pourquoi ces aveugles représentent des pharisiens ?

- Les pharisiens sont si sûrs d’être des justes que toute contradiction leur semble provenir de l’orgueil ou de l’aveuglement. Ils vivent dans le miroir des autres. Et leur propre aveuglement les mène au fossé.

- Vous pensez que ce tableau se moque des aveugles, et de leur absence au monde ?

- Le peintre se moque de l’aveuglement de l’esprit qui peut être bien plus grand que l’aveuglement de la chair. Le bâton qui les relie évoque la rudesse de l’esprit unique... On trouve d’ailleurs une représentation de ce thème dans le tableau des Proverbes de 1559.

- Et vous pensez qu’il y a du voyeurisme ?

- Le voyeurisme ne renvoie jamais à la condition de celui qui contemple, et ne songe aucunement à son élévation. Le voyeurisme est aveugle à lui-même. D’ailleurs le sujet du tableau n’est pas les aveugles.

- Savez-vous à quoi pourrait ressembler le portrait de voyants exécuté par un aveugle ?

- Euh, non, je l’ignore...

- Je vous remercie Monsieur.

- Vous savez où aller ensuite ?

- Ne vous inquiétez pas, je trouverai bien le chemin de la sortie, mes oreilles ne me trompent pas.

- Je vous souhaite me bonne journée. De nouveau seul, je regardais le tableau d’une autre manière. Il me semblait plus grand. L’oeil a ce que l’on appelle un point aveugle qui
correspond au départ du nerf optique. L’illusion serait de croire que l’oeil voit tout. La faculté d’imagination n’est-elle pas ce qui reconstitue ce qui échappe au regard ?

Jean-Charles Angrand

(Suite au numéro de mardi)


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