Le garçon qui courait toujours

La myopathie

10 juillet 2012

’Handicapable !’ est le nom d’une rubrique bi-hebdmadaire qui couvre les vacances d’hiver et dont l’objet est d’évoquer non tant le handicap que l’handicapé à travers des histoires qui le mettent en scène. Les récits qui vous seront proposés les mardis et vendredis cherchent à faire découvrir ce que représentent les mots — parfois inquiétants — de myopathie, de dyslexie, d’autiste, de mutisme, de paraplégie, de trisomie..., et à nous rendre plus proches ces affections, au double sens du terme. Mieux regarder le handicap est le défi d’’Handicapable !’.

A travers l’épaisse buée des vitres, trois regards suivirent une silhouette qui filait sous la pluie. L’avalasse faisait comme un tambour gros cœur sur le toit de la carrosserie.
« Li lé gazé : poukwé li cour comma ? Li té gagne prend le car ek nou !

- Ben, li habite lé quartier.

- Laisse, li veut noyer a li… »
Le car scolaire s’ébranla, quittant l’arrêt puis dépassa l’élève encapuchonné qui continuait sa course, sous l’averse, cartable au dos.
A chaque fois, on disait : « Il sera en retard », et toujours il était en avance.
Vingt minutes, il lui fallait vingt minutes pour descendre au collège. A la faveur des embouteillages que provoquait le dépôt des élèves devant le porche, Tom doubla à grande foulée la ligne de bus qui patientait. Il n’avait pas cessé de courir depuis vingt minutes, il n’avait pas cessé de pleuvoir non plus.
Que la chaleur commençât à figer la montagne, que la pluie chassée des alizées ne balayât les toitures, cela était égal, Tom courait sur un même rythme, offrant le spectacle toujours renouvelé d’un garçon pressé et qui ne l’était pas.
La moindre occasion lui suffisait : entre domicile et collège, d’une salle de classe à l’autre, durant la récré, de retour à la maison pour aller chercher une denrée à la boutique, malgré les distances, les montées, la foule, la chaleur ou la pluie, pour aller voir un ami à l’autre bout du bourg, on le voyait courir, galoper, trotter.
A la grande surprise de ses professeurs, pour rejoindre une salle de classe, il ne marchait pas, ça semblait plus fort que lui, il fallait qu’il coure. Il faisait en sorte de ranger ses affaires au dernier moment après la sonnerie, il allait prendre la valisette au bureau, demandait toujours à l’enseignant s’il avait rempli le cahier de textes.
« Tenez, et allez-y, lui répondait-on : vous risquez d’être en retard…

- Ne vous inquiétez pas, m’dame, je les rattrape toujours. Ils ne vont pas vite ».
Le professeur le regardait partir, se demandant ce qui le faisait courir ainsi. Ce qui d’ailleurs était sans importance : il n’y avait pas de dérangement.
Dans les escaliers, les coursives de l’établissement, il passait en courant. Si un surveillant lui demandait de ne pas courir, il se fendait d’un invariable « Oui, m’sieur », pour un peu plus loin reprendre sa course. C’était quelque chose de l’ordre du rythme physiologique, une excentricité, croyait-on.

La remontée de la rue Bois Rouge se faisait sur le trottoir de gauche. Tenir le rythme, tandis que la pente s’accentue. Tom devait se concentrer sur sa respiration pour qu’elle fût plus ample. Il observait en même temps la fréquence du battement de son cœur, les pulsations n’ont pas à s’emballer. Comme les muscles se raidissent, il fait en sorte de les détendre alternativement : la cuisse gauche en repos pendant que la jambe droite prend appui. La course est un processus psychique intense : mélange de volonté et d’attention corporelle. C’est cette connaissance qui manque à ceux qui ne pratiquent pas, ceux qui n’essaient pas d’aller jusqu’au bout d’eux-mêmes. Il y a une intelligence dans le fait de courir, une intelligence des limites.
Au cross du collège, il avait fallu attendre le passage des 5èmes et des 4èmes. Tom s’ennuyait. Un grand de 3ème se vantait de courir plus vite que les autres, « si vite », lançait-il, « qu’il aurait tôt fait d’enrhumer ses concurrents ». Footeux au club municipal, il avait remporté la coupe de l’île avec l’équipe. Un groupe de filles et de garçons se pressait autour de lui. Habillé de Nike des pieds à la caquette, il parlait fort, lançait des plaisanteries auxquelles il était le premier à rire. « Regarde comme il est faiblard, celui-là, lançait-il en montrant un 4ème. On dirait qu’il va cracher sa langue… ».

(Suite au numéro de vendredi)


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