Une poupée aux si grands yeux

7 août 2012

’Handicapable !’ est le nom d’une rubrique bi-hebdomadaire qui couvre les vacances d’hiver et dont l’objet est d’évoquer non tant le handicap que le handicapé à travers des histoires qui le mettent en scène. Les récits qui vous seront proposés les mardis et vendredis cherchent à faire découvrir ce que représentent les mots — parfois inquiétants — de myopathie, de dyslexie, d’autiste, de mutisme, de paraplégie, de trisomie..., et à nous rendre plus proches ces affections, au double sens du terme. Mieux regarder le handicap est le défi d’’Handicapable !’.

Le mutisme — 2 —

Encouragé par sa confidence inespérée, je suis revenu la voir, quelques semaines après, au fond du jardin, une soirée. Je fus accueilli par un sourire plus énigmatique que jamais.
Alors je me suis accroupi et je lui ai raconté une histoire avec les mots et les gestes : l’histoire d’une poupée qui engloutit les mots.
« Il était une fois (en langage des signes, on mime : Il y a très, très longtemps) une poupée aux grands yeux qui ne parlait pas. Mais elle entendait les mots et les adorait. Elle écoutait beaucoup les gens autour d’elle, sa maîtresse, les parents de son amie. En fait, elle adorait les mots. Elle collectionnait les plus jolis, les plus étranges, elle s’en faisait des rubans pour les cheveux, des châteaux pour dormir dedans, des forêts pour s’y promener, des lunes et des étoiles pour rêve. C’était un paysage à écouter, une île pour regarder, sentir, aimer.
Mais voilà, elle savait qu’un jour il faudrait qu’elle rende tous ces mots, qu’elle les rende avant de partir…

- Où ?,
me demanda-t-elle par geste.
- Plus loin, dans un autre monde. Tu comprends ? ».
Elle fit oui de la tête.
Et elle signa : « Ton histoire est terminée ?

- Oui, et elle est pour toi ».
Elle me remercia. Je lui souhaitais une bonne soirée, et je m’éloignais.
Je n’ai plus revu par la suite cette petite fille. Elle est partie, je crois, pour la métropole. L’herbe a commencé à monter de l’autre côté du grillage. Jusqu’au jour où, à nouveau, je la retrouvais rase : de nouveaux voisins s’étaient installés.
Peut-être vingt ans ont passé. J’aime ces périodes où il ne se passe rien. J’ai trop souffert dans ma jeunesse d’excessifs bouleversements pour ne pas souhaiter une fin de vie où tout serait quasi immobile. A la façon d’une lecture d’un roman de 500 pages. Puis un soir, j’ai aperçu une boîte au fond du jardin, près de la clôture. Je m’y suis dirigé, étonné. J’ai pris le carton, je l’ai trouvé léger, je l’ai ouvert : dedans s’y trouvait une poupée. La même poupée aux grands yeux que possédait mon ancienne voisine. Je levais la tête, cherchais du regard : la boîte pouvait être là depuis une minute, ou depuis plusieurs heures, je ne pouvais pas le savoir. J’y ai regardé à nouveau, soulevé la poupée qui happait le monde avec ses grands yeux. En dessous, un papier plié en quatre. Je m’en suis saisi délicatement, comme s’il s’agissait d’un trésor. Déplié, il y avait dessus un mot, un seul :
« Merci ».

Jean-Charles Angrand

À Anne-Lise,
À Mme Nathalie Pelloud.

- Un site pour trouver des vidéos de signes correspondant à chaque mot : isfdico-injsmetz.fr

- Livre consacré à l’apprentissage de la langue des signes “Dictionnaire 1.200 signes (langue des Signes française)”, éditions Monica Companys.


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