Rencontre avec Thierry Terret, recteur de l’Académie de La Réunion

Quelle politique éducative pour les années à venir ?

13 février 2013

Le nouveau Recteur de La Réunion a accordé un entretien au journal Témoignages, ce mercredi 6 février. Sensibles à ses déclarations et à son positionnement sur les langues régionales, nous avons sollicité une rencontre auprès de ses services. Outre le créole à l’école, ce fut l’occasion pour nous d’aborder d’autres sujets qui préoccupent actuellement la société réunionnaise, tels que l’illettrisme, le calendrier climatique ou encore le chômage massif.

Propos recueillis par Julie Pontalba

Thierry Terret Recteur de La Réunion depuis le mois de janvier.

I. Le créole à l’école

Thierry Terret, nommé, début janvier, dans notre académie, a pu approfondir la thématique de l’interculturalité ou de
« l’hybridation culturelle » telle qu’il la nomme. Il a étudié le rapport entre culture dominante et dominée ainsi que les conséquences qui en découlent. C’est donc naturellement que la première question concerne son point de vue et ses propositions pour une meilleure prise en compte de la langue maternelle des enfants créolophones à l’école.

Thierry Terret : La place du créole en milieu insulaire est assez originale. Cette situation à La Réunion est d’autant plus singulière que la langue créole occupe une place beaucoup plus importante que dans les autres DOM ou les autres départements où existent une langue régionale comme l’Alsace. Cette place prépondérante du créole oblige les autorités à le prendre en compte, en tous les cas il ne peut pas être négligée.

Dans le premier degré, le développement de l’enfant sur l’île, dans son milieu social, suppose de renforcer cet apport culturel. Il faut offrir à tous les Réunionnais l’opportunité de développer ses compétences langagières sans la rendre obligatoire pour tous. Les choses évoluent positivement. Il existe déjà quelques classes bilingues et bilangues où l’enseignement se fait pour moitié en créole. Dans les faits, l’enseignement en créole est limité à cause de la graphie qui n’est pas encore stabilisée. Le nombre de maîtres habilités en créole dans le premier degré est passé de 67 en 2008 à 188 à nos jours. Enfin, il existait un groupe de personnes qui travaillait sur des outils pédagogiques adaptés au milieu réunionnais, ce groupe sera prochainement réactualisé et complété par des experts, afin d’offrir aux enseignants et aux parents un panel plus intéressant d’outils pédagogiques adaptés.

Dans le second degré, c’est la loi qui encadre l’enseignement de la langue et de la culture régionale (LCR). Elle est une option. L’île compte 26 professeurs habilités. La demande dans l’île a connu une forte augmentation depuis une dizaine d’années et elle s’est tassée depuis deux rentrées, ce qui fait dire que l’offre correspond à la demande.

Comme dit précédemment, au vu de la situation insulaire et particulière de La Réunion, ne pas tenir compte de la réalité langagière est une erreur didactique manifeste, c’est pourquoi il faut aussi s’attacher au problème en amont, c’est-à-dire lors de la formation des enseignants. Le rectorat est en train de mettre en place, en concertation avec l’université, les ESPE (Ecoles supérieures du professorat et de l’enseignement, ex IUFM) qui prendront nécessairement en compte la dimension langagière. Les enseignants mutés sur l’île auront, eux aussi, une formation continue spécifique. Enfin, les inspecteurs du second degré ont reçu la consigne d’intégrer des formations sur le créole dans le PAF (plan académique de formation).

Témoignages  : Ces positions sont nouvelles et tranchent par rapport à un passé pas si lointain. Car, il n’y a pas si longtemps des inspecteurs ou même des recteurs n’avaient aucun scrupule à clamer haut et fort qu’ils voulaient la « mort du créole ». Un pas est visiblement franchi en faveur du respect de l’identité réunionnaise. Cependant beaucoup restent encore à faire pour arriver à un équilibre plus juste et pouvoir parler véritablement d’interculturalité. Le recteur est, par exemple, opposé à l’enseignement obligatoire de la LCR au second degré, il pense aussi que la mise en place de l’accueil des enfants de maternelle par des enseignants qui maîtrisent le créole serait trop compliquée et risquerait « d’enfermer l’île sur elle-même », or, pour nous ces deux mesures sont essentielles.

II. L’illettrisme

Véritable fléau et situation spécifique à l’île puisque notre département compte le plus grand nombre d’illettrés de toutes les académies. Un drame qui plonge ses racines bien plus loin que le simple fait de ne pas savoir lire et écrire et qui ne s’arrête pas à la sortie du système scolaire. Quelles mesures d’envergures pour corriger cette situation catastrophique ?

Thierry Terret : Sur ce problème il faut distinguer deux situations : les moins de 16 ans pour lesquelles l’Éducation nationale contribue à apporter des solutions et les plus de 16 ans qui dépendent, eux, d’autres dispositifs.

Pour les moins de 16 ans, les constats en milieu scolaire sont éloquents. Entre 10 et 20% d’élèves arrivent au collège ou au lycée sans savoir lire. Il a été montré par ailleurs que le redoublement n’était pas une solution adéquate pour pallier aux difficultés scolaires. Il faut donc saluer le fait que le nombre de redoublements a sensiblement diminué cette année, malgré les 10 points de décalage aux évaluations nationales de CM2.

Ensuite, il y a les solutions que proposent l’Éducation nationale et les nouvelles réformes :

alléger les journées, avec la proposition des 4 jours et demi

intensifier la scolarisation des moins de trois ans,

développer l’offre numérique, qui on le sait, est un facteur de motivation,

renforcer le travail sur le socle commun des connaissances et des compétences,

étoffer l’offre des savoirs différents (dans le domaine de l’art et de la culture),

rendre l’enseignement plus confortable en favorisant la mesure « plus de maîtres que de classes ».Tout sera fait pour que cela touche au moins 1/5 des établissements du primaire.

Toutes ces réformes visent à réduire l’échec scolaire sur le plan national.

A La Réunion, le rectorat a déjà signé la charte de lutte contre l’illettrisme en convention avec les autres acteurs de lutte contre l’illettrisme. Il travaille déjà sur la mise en place de nouveaux ROFE (Réseau d’observation de la Formation et de l’Emploi) destinés à renforcer l’accompagnement individualisé des décrocheurs.

Témoignages : Bon nombre de solutions sont donc prévues dont certaines sont innovantes. Il faut attendre les retombées. Cependant ces mesures, d’ordre national, ne sauraient satisfaire à la situation réunionnaise tant son état est grave et persistant. Il y a incontestablement nécessité d’approfondir le sujet en intégrant par exemple les aspects sociologiques. D’autres pays ont su surmonter ce fléau, pourquoi pas nous ?

III. Le chômage

Avec l’illettrisme c’est l’autre fléau de l’ile. Pourtant, ici, c’est environ 1.000 postes qui s’ouvrent chaque année dans le milieu scolaire (selon l’INSEE). Les emplois précaires, tels que les contractuels, sont nombreux et leur avenir incertain. Les mutations forcées, les classes surchargées par manque de personnels, quelle peut être la contribution du rectorat ?

Thierry Terret : Ce sujet n’est pas directement de la compétence du rectorat et les marges de manœuvre dans ce domaine sont restreintes. Cela dépend surtout de décisions et d’une politique d’ordre nationale. Cependant, quelques éléments peuvent être apportés.

Concernant les embauches dans la fonction publique à La Réunion et particulièrement dans l’Éducation nationale, il faut d’abord signaler l’attribution de 1000 points aux lauréats réunionnais et, depuis l’année dernière, la possibilité pour ceux qui réussissent à un concours interne d’exercer dans l’Académie. Ensuite, les contractuels qui justifient de 6 ans effectifs peuvent prétendre à une « CDIsation ». Enfin, il y a le nouveau dispositif gouvernemental, emplois d’avenir « avenir professeur », qui concerne les étudiants boursiers et qui ont le projet de travailler dans l’Éducation nationale. Ils seront rémunérés pendant les trois années de leur formation universitaire de la 2e année de licence au Master 1 et auront l’obligation de suivre des stages en établissement sans que cela n’impacte leur cursus. Cette année, 59 étudiants (40 dans le premier degré et 19 dans le second) sont concernés.


Témoignages : La mutation d’un Réunionnais en France n’est en nul point comparable à une mutation ordinaire sur le territoire français. Pour des raisons que nous n’aborderons pas ici, l’Académie de La Réunion est très demandée, aussi, un Réunionnais devra attendre beaucoup plus que de raison avant de pouvoir retourner dans son Académie d’origine. Nous savons très bien que les 1000 points ont des effets mitigés. La mesure visant à « CDIser » les contractuels, quant à elle, a peu de chance d’aboutir puisque les contractuels sont bloqués juste avant leur 6 ans de contrat ! Manque de moyen ou de volonté, les portées de cette loi sont limitées à La Réunion.

IV. Le calendrier climatique

Chaque année, c’est le même rituel : rentrée sous la pluie, chaleur étouffante, fermeture des classes de plusieurs jours... le calendrier climatique force à être d’actualité. Il faudra que le rectorat se positionne en 2014.

Thierry Terret : Ce sujet ne devrait pas être d’actualité, car le calendrier a été fixé jusqu’en 2014 et il n’est pas question de le remettre en cause avant cette date.


Au moment voulu, un maximum d’acteurs (personnels de l’Éducation nationale ainsi que ses instances au plus haut niveau, les politiques et les syndicats) sera écouté, sans omettre l’idée d’une réflexion avec les universitaires, les scientifiques. Aucune décision ne sera prise sans la concertation la plus large. Cependant, le calendrier actuel semble être un juste milieu.

Témoignages : Le calendrier actuel résulte du compromis de plusieurs propositions, cependant il est loin d’offrir les conditions de travail les plus favorables aux élèves. Or, les conditions de travail et la réussite des élèves ne sont-elles pas les objectifs premiers d’un calendrier scolaire ? Enfin, le calendrier actuel est loin de satisfaire aux acteurs du milieu éducatif (parents, personnels,

syndicats…).

L’idée de recueillir des avis des scientifiques est novatrice et salutaire, eu égard à ce que nous avons connu par le passé, cependant, faut-il, là encore, que ces derniers ne soient pas influencés par des considérations autres que le bien-être des enfants.

An plis ke sa


La Scolarisation dès 2 ans interpelle

La relance de la scolarisation dite précoce nous interpelle. Elle sera renforcée dans les 5 années à venir et elle concernera en priorité les environnements sociaux « défavorisés » (les DOM étant prioritaires). Les objectifs visés sont la socialisation, et une meilleure réussite scolaire. Cela permettra indirectement d’alléger les crèches tout en créant de nouveaux postes dans les écoles.

Cependant, les avis sur la scolarisation des moins de 3 ans sont mitigés. Pour certains, le taux d’encadrement et les rythmes ne sont pas adaptés à cet âge. Pour d’autres, elle diminue les chances de redoubler.


Pour nous, la question fondamentale est celle du respect de l’identité culturelle du petit réunionnais. A cet âge-là, ils commencent à peine à parler et si l’enseignement est mené comme elle se fait actuellement, dans le déni de l’identité culturelle de l’enfant, alors cela ne peut pas nous satisfaire.

Une telle situation ne va-t-elle au contraire bloquer le développement harmonieux de l’enfant réunionnais ? Si le but non avoué est l’assimilation française alors nous sommes face à un « génocide culturel par substitution ». Apprendre le français aux plus petits oui, mais mutiler l’enfant réunionnais, l’amputer d’une part de lui-même, non. Bien au contraire, il faut développer tout son potentiel langagier maternel.

L’enseignement de la LCR obligatoire pour tous


La langue et culture régionale est un enseignant actuellement optionnel dans notre île. Ce n’est pas le cas partout en France comme à Strasbourg où il est obligatoire pour les cursus bilingues. La LCR n’est pas un cours de langue régionale. Il s’agit d’un programme pédagogique complet sur l’histoire, la culture et la langue de la région en question. Dire que l’enseignement de la LCR ne profite pas aux Réunionnais n’est pas juste et bien au contraire. En effet, bon nombre d’adultes se plaignent de ne pas connaître l’histoire de leur pays, et pour cause, elle n’est pas enseignée du tout. A l’heure où nous fêtons les 350 ans du peuplement de l’île, l’enseignement de la LCR ne sera certainement pas un luxe pour les jeunes réunionnais.

A la Une de l’actu

Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année

La kaz Tikok

23 avril, par Christian Fontaine

Promié tan, la kaz bann Biganbé navé dé piès minm parèy sad bann Maksimin, soman té kouvèr an tol. Malérèzman, siklone 48 la ni, la lèv lo ti (…)


+ Lus