Lettre ouverte à M. Bernard Landouzy, Préfet de La Réunion… Vendredi 17 mars 1978.

11 juillet 2011

Je poursuis ce lundi ma relecture de ces textes écrits un jour pour témoigner. Ils concernent des amis ou camarades qui sont, pour certains, toujours bon pied bon œil, qui, s’agissant d’autres, nous ont quittés après une vie de travail à la place qui était la leur. Aujourd’hui, nous remontons le temps jusqu’en mars 1978. Un député nouvellement réélu avait organisé « sa tournée de remerciements ». Rico Carpaye y perdit la vie, écrasé par une voiture d’un cortège de quelques 110 véhicules venu de la commune d’à côté et débordant de nervis excités. Un préfet, du moins ceux qui avaient mission de le conseiller, cherchait à vouloir couvrir l’insupportable. Insupportable…

Raymond Lauret

« Monsieur le Préfet,
Vous avez rendu publique « la chronologie des évènements (du 14 mars dernier) établie par la préfecture ». Vous tentez de dégager votre responsabilité, en mentant purement ou par omission.
Vous affirmez que, dès mardi, vous saviez qu’un « cortège » devait quitter Saint-Paul dans l’après-midi pour se diriger vers Le Port, que vous aviez obtenu des précisions sur l’organisation et sur l’itinéraire ainsi que sur le déroulement des réunions. Vous omettez de dire que vous ne vous êtes pas assuré que les pouvoirs municipaux étaient informés de cela et que vous n’avez pas cru nécessaire de le faire.
Vous savez, Monsieur le Préfet, que dès 16 heures, les élus du Port ont appelé le Commissariat de Police alors qu’ils venaient d’être informés de ce qui se préparait. Vous savez qu’alors je vous ai téléphoné. Ni vous, ni votre directeur de cabinet n’étaient disponibles. J’ai demandé à votre secrétaire que vous-même ou Monsieur Goudart me rappelle d’urgence. Quelques instants après, votre directeur de cabinet était en liaison téléphonique avec moi. Vous savez qu’il m’a déclaré qu’il n’entendait pas nier le pouvoir de police du maire et qu’il donnait aussitôt les ordres au commissaire de police et au commandant de gendarmerie du Port pour que les termes de la réquisition que la Mairie du Port allait prendre aussitôt soient exécutés.
Par télégramme, je vous ai confirmé notre entretien. Il était 16h30 environ.
Vous savez encore, Monsieur le Préfet, qu’aussitôt, deux lettres de réquisitions ont été déposées au commissariat de police et à la brigade de gendarmerie ordonnant la déviation du cortège par la RN1, à la hauteur du Rond-Point des Tétrapodes.
Vous savez, Monsieur le Préfet, et cela vous omettez de le dire dans votre relation chronologique des évènements, qu’à 17h20, Monsieur le commissaire de police du Port m’a téléphoné, qu’il m’a dit que vous veniez de l’appeler, que vous l’aviez assuré — vous teniez ces assurances de Monsieur le Maire de Saint-Paul — qu’il ne s’agissait pas d’un immense cortège, mais simplement de quelques voitures — une vingtaine tout au plus — qui accompagnaient Monsieur Fontaine qui venait remercier ses électeurs. Il était 17h20. Le cortège devait arriver à 17h30. J’insistais auprès de Monsieur le commissaire de police, lui disant notamment que vingt voitures, cela représente déjà un cortège de plus de cent mètres et, qu’en tout cas, je ne me fiais pas à la parole de M. Bénard.
Dix minutes après, les 110 véhicules du cortège, bourrés de gens, certains armés de sabres à canne, d’armes à feu, criant des slogans amplifiés par des haut-parleurs et précédés de deux agents motorisés de la force publique étaient dans les rues du Port. Ordre avait donc bien été donné pour que la réquisition du maire ne soit pas exécutée.
Votre « chronologie des évènements » cache ces points essentiels qui établissent clairement les responsabilités.
Mieux, vous avez choisi des termes — « … concertation… aucun arrêté d’interdiction n’est pris… » — qui sont une déformation de la vérité. C’est faux, il n’y a pas eu de concertation. Il y a eu une opposition nette de la Mairie à la tenue de ce défilé. Il y a eu un télégramme très net lui aussi de la Mairie venant confirmer la conversation téléphonique que j’ai eue avec votre directeur de cabinet. Il y a eu deux lettres de réquisition.
Mais je sais, Monsieur le Préfet, que derrière le fonctionnaire il y a un homme. L’homme que vous êtes ne peut pas ne pas être mal à l’aise. Les obligations de votre fonction ne peuvent pas supprimer la certitude que l’homme que vous êtes a de la responsabilité du préfet de La Réunion.
Je crois, Monsieur le Préfet, que vous avez eu la faiblesse de vous fier à la parole des organisateurs de la provocation. C’est vrai, ils sont protégés, impunis, arrogants, très puissants. Mais fallait-il malgré tout leur céder ?
Vous avez par ailleurs choisi, Monsieur le Préfet, la thèse du guet-apens. D’autres ne vous ont pas attendu pour le faire. Les mêmes mensonges qu’ils ont employés apparaissent dans votre « chronologie des évènements ». Qui donc renseigne qui dans ce pays ?
Vous trouverez — c’est si facile — vingt témoins pour dire qu’un jet de galets a accueilli le cortège de Monsieur Fontaine. Vous savez que des nervis du maire de Saint-Paul sont descendus de leurs véhicules, sabres à canne ou galets en main, qu’ils ont lapidés des maisons, poursuivi et frappé les gens qui étaient sur le bord de la route et qui avaient commis le crime de répondre « Vive Vergès » aux « Vive Fontaine » que diffusaient les haut-parleurs du cortège.
Vous savez qu’aucun guet-apens n’a été monté et qu’une population agressée s’est défendue. Vous savez aussi que la suite des évènements entre dans la logique des intentions des organisateurs de l’expédition punitive camouflée en réunion de remerciements. Ce sur quoi nous avions attiré votre attention…
Je vous accuse, Monsieur le Préfet, de déformer les faits, de publier une « chronologie des évènements » que vous savez fausse, de cacher à l’opinion ce qui montre votre responsabilité. Et je rendrai cette lettre publique.
Sans doute aurai-je droit à vos juges et à votre police. J’ai obéi à ma conscience. Qu’ils obéissent à vos ordres.

Raymond Lauret,
Premier adjoint au Maire du Port »


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