Quand la jeunesse réunionnaise explose

8 mars 2012

(suite)

C’est à la période du post-engagisme que l’on voit apparaître le concept de quartier, auquel est associée une identité propre, puisque les habitants qui s’y installent à cette époque vont y rester pendant plusieurs générations. Aujourd’hui situés en périphérie des villes, ces quartiers concentrent un grand nombre de difficultés sociales. On y trouve des logements sociaux construits dans les années 60, une population déshéritée, abandonnée, venue vivre pour quitter les Hauts, les campagnes ou les bidonvilles. Les indicateurs sociaux y sont très inquiétants : le taux de chômage des jeunes, estimé à 60% pour les 15-25 ans en moyenne, y atteint 80, voire 90%, selon nos propres recherches réalisées en partenariat avec l’INSEE grâce aux outils statistiques mesurant le chômage par îlot d’habitation (IRIS). Ainsi, c’est toute une génération qui se retrouve sans perspective d’emploi et donc sans aucune vision d’avenir.
Le quart le plus pauvre de la population n’a parfois quasiment aucun revenu en dehors des transferts sociaux, qui sont calculés sur des critères métropolitains alors que le niveau de vie est beaucoup plus élevé ici. Les familles développent alors des stratégies de survie du quotidien. D’autant plus que l’INSEE a établi que le niveau des prix à La Réunion est supérieur de 12% à celui de la métropole en moyenne, mais ce chiffre atteint 37% dans le domaine alimentaire ; or, le premier poste de dépenses des ménages défavorisés est précisément celui de la nourriture. Ces quartiers sont ainsi marqués par le chômage de masse, les logements surpeuplés (conditions de vie difficiles, en particulier pour les jeunes en recherche d’autonomie et de vie privée), mais aussi des situations de tensions sociales extrêmes (conflits de voisinage et violences intrafamiliales). Dans cette situation globalement tendue, les jeunes sont les premiers à être « sur les nerfs ».

Ces quartiers que l’INSEE désigne comme « déshérités » ou « urbains ouvriers » sont très denses sur le plan de l’habitat et concentrent tous les handicaps sociaux, économiques et culturels. Les habitants y sont plus touchés par le chômage : ils sont soit inactifs, chômeurs, chômeurs n’ayant jamais travaillé, touchant le RSA, et ceux qui travaillent exercent des métiers classés au bas de l’échelle sociale. Les mauvaises conditions de vie des milieux défavorisés se traduisent par des difficultés éducatives, liées à la situation fréquente de surpopulation dans un espace d’habitation très réduit, produisant un sentiment de frustration chez les jeunes, qui sont par ailleurs stigmatisés par le reste de la société, et qui gardent comme seule échappatoire le groupe de pairs.

Si l’on considère l’ensemble de la société réunionnaise, on constate que la population a connu des évolutions rapides et mal digérées. Symptôme d’une société aux structures économiques dépassées, La Réunion est passée ces dernières décennies d’une économie rurale à une société de surconsommation, créant ainsi beaucoup de désespoir. L’évolution d’une société encore largement dominée par le secteur primaire dans les années 70 à une société tournée vers le tertiaire a été brutale. Le secteur secondaire n’a jamais occupé une part importante, car le coût de la main-d’œuvre a empêché le développement d’un secteur industriel compétitif. Les années 80 constituent un tournant où l’on assiste d’une part à une diminution de l’emploi dans le secteur de la production cannière et une tertiarisation à outrance et subventionnée qui exclut une très grande partie de la population du processus de production et conduit à la mise en place d’une société d’« assistanat ». Ainsi, un tiers de la population touche des minima sociaux.

Par ailleurs, le travail non déclaré a permis de compléter le manque à gagner pour survivre. Les revenus générés par ce travail non déclaré permettent aux ménages de joindre les deux bouts et jouent ainsi le rôle d’une soupape de sécurité, qui contenait l’explosion sociale. Le renforcement des contrôles assidus des autorités ces dernières années s’est traduit par une forme de tension sociale. D’autant plus que les Réunionnais ne sont pas préparés à cette mutation rapide et n’ont pas forcément les compétences requises pour occuper les nouveaux emplois du tertiaire ; ce qui attire de nombreux employés métropolitains sur le marché du travail local. Enfin, la crise de l’emploi engendre la crise sociale. Cette crise sociale profonde et ancienne se révèle aujourd’hui de manière fracassante, car la violence des jeunes attire l’attention des médias et donc des décideurs, a fortiori dans un contexte électoral.

Nous aimerions souligner, enfin, que les premières conséquences de ce mouvement de colère des jeunes sont de deux ordres : des mesures concrètes de lutte contre la vie chère ont été prononcées et des dizaines de jeunes ont été condamnés, parfois très lourdement. Comme le remarquait une mère de famille du Chaudron : « Ce sont eux qui payent pour que les choses avancent ». Certains n’avaient pas de casier judiciaire. Victimes du chômage, de la pauvreté, du décrochage scolaire, ils vont désormais connaître la prison ; une expérience qui risque de faire basculer leur vie du mauvais côté. Triste ironie de cet épisode de violences : les premières victimes de ce malaise social connaîtront ainsi une « double peine » avec un séjour en prison où l’on ne fait pas que de bonnes rencontres. Ces jeunes seront ainsi ceux qui auront réussi à faire entendre le malaise réunionnais. Au prix de leur avenir…

L’apport du sociologue n’est pas de proposer des solutions toutes faites, mais plutôt un éclairage scientifique. En l’absence d’évolutions profondes, nous sommes amenés à penser que les mêmes causes continueront de produire les mêmes effets, comme nous l’évoquions dans notre étude en 2007. Au-delà des réponses répressives rapides et spectaculaires, il apparaît urgent d’apporter des réponses préventives et structurelles à même de s’attaquer aux problèmes en profondeur. Les objectifs à atteindre étant la réussite scolaire, une perspective d’emploi durable et un logement décent. Pour cela, il s’agirait, dans un premier temps, de développer l’analyse sociale de ces phénomènes à un niveau local, pour pouvoir adapter les politiques publiques en fonction des résultats scientifiques. Il est urgent de pouvoir travailler à la réintégration du jeune. Force est de constater l’échec d’un grand nombre de politiques publiques dans ces quartiers populaires et difficiles. Quelles sont les bonnes politiques sociales à mettre en place maintenant ? Pourquoi n’y a-t-il toujours pas de volonté de créer une Faculté de Sciences sociales à l’Université de La Réunion ? Les événements des semaines qui viennent de s’écouler ne sont-ils pas une preuve flagrante de ce besoin urgent ? Quelle est la crédibilité et quel est le rôle de l’Université dans la société réunionnaise en 2012 ? Pourquoi ne dispose-t-on toujours pas d’Observatoire de développement social ?

Enfin, je souhaite attirer l’attention sur le fait que les jeunes que l’on entend en ce moment après cette semaine de violences urbaines sont les plus désabusés. Mais beaucoup d’autres, jeunes diplômés sans emploi, ou sous-employés, ou peu payés, ne se sont pas exprimés...

Laurent Médea,
Sociologue

Auteur de "La Délinquance juvénile à La Réunion". Zarlor Editions, 355 pages. Préface de Laurent Mucchielli. www.zarlor.com


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