Inauguration de la fresque « Les Marrons ».

Un Boulevard transformé en monument historique -2

25 avril 2023, par Ary Yée-Chong-Tchi-Kan

Dimanche 23 avril 2023, la municipalité de Saint Denis a inauguré la fresque consacré au livre « Les Marrons », de Louis Timagène Houat, visible sur le boulevard sud. Dans son discours, la Maire Ericka Bareigts a soulevé divers aspects de cette réalisation exceptionnelle.

Elle a interrogé notre responsabilité devant les legs du passé et leurs résonnances contemporaines ; elle a rendu hommage à l’artiste Stéphanie Lebon pour ses prouesses artistiques, réalisées dans des conditions difficiles. Elle a souligné le travail de Raoul Lucas qui a « débusqué » cet ouvrage enfoui dans l’oubli durant 180 ans. Elle a remercié la présidente de Région d’avoir accepté de projeter le texte sur le boulevard. Enfin, à plusieurs reprises, elle a pris à témoin le public présent, sans lequel il n’y aurait pas eu consécration.

Nous publierons le discours d’Ericka Bareigts en 4 parties. Dans une 5e partie, nous allons vous révéler comment « Témoignages » a consacré 66 éditions et 2 années, à la publication entière du livre « les Marrons ». (les intertitres sont de Témoignages).

Ary YEE-CHONG-TCHI-KAN

2) un hommage appuyé.

L’hommage, ce n’est pas uniquement le fait d’avoir posé une à une les lettres de la centaine de page de ce roman sur un mur, bien que, de la part de celle qui l’a fait, Madame Stéphanie Lebon, c’est une prouesse. Et pour cela, pour ses gestes patiemment accomplis sous le soleil de plomb de ce boulevard, qu’elle reçoive toute notre gratitude. L’hommage c’est, 179 ans après la publication de ce roman, de le rendre public !

C’est-à-dire de l’offrir, sur la voie publique, au regard de toute et tous, afin que plus personne ne puisse ignorer son existence. Parce que, si Louis Timagène Houat a survécu à la publication de son œuvre, il n’a pas pour autant été épargné de châtiments : il a non seulement été banni de l’île, puisqu’il finira sa vie en exil, mais il a également été banni de l’Histoire de l’île. Et il a fallu attendre 1981 pour qu’un chercheur déterre cet ouvrage, et raconte son histoire ! Notre gratitude va maintenant à Monsieur Raoul Lucas, qui est à l’initiative de cette exhumation. Près de 150 années de silence ont couvert cette œuvre…

Œuvre pourtant majeure, puisque par-delà le fait qu’elle soit le premier roman réunionnais en langue française, elle aborde dans le temps même où les exactions ont lieu, le sujet de cette insulte faite à l’humanité : l’asservissement de femmes et d’hommes par leurs propres semblables. Mais Louis Timagène Houat, précurseur et visionnaire, va bien plus loin : il ne romance pas une complainte, il ne fait pas que le récit d’atrocités, non, il pose des balises pour l’avenir ! En effet, si son roman s’ouvre sur les ténèbres, il se clôture sur des lueurs d’espoir (je le cite à nouveau, et vous pourrez retrouver ces mots un peu plus loin, sur les pages 151 et 152 de la fresque) :

« [La femme] laissa échapper une goutte de lait de son sein maternel. Et cette goutte de lait tomba et s’étendit sur tout le lac de sang, qui aussitôt changea de consistance, de teinte et de forme ; il devint un sol couvert d’arbres et d’animaux, un pays accidenté, riche et fertile, pays où il n’y avait plus aucune différence de couleur ni de conditions parmi les habitants, où tous ils étaient libres ; où loin de chercher à se faire la guerre, à s’esclaver, à s’entre-détruire, ils paraissaient au contraire heureux de se rencontrer, heureux de se voir égaux, de s’aimer, de s’unir, de s’entraider. »

« Heureux de se rencontrer, heureux de se voir égaux, de s’aimer, de s’unir, de s’entraider »  : c’est là exprimé un rêve de liberté, d’égalité, de fraternité, et je rajouterai, de sororité. Quelle vision ! Quelle ambition ! Pour nous, nous toutes et tous : ce rêve qu’il fait naître dans la société marronne du cœur de l’île porte une indéniable dimension écologique et sociale. C’est un rêve républicain, fait pour toutes et tous, sans aucune nature de distinction, pas même de sexe ou de genre.

Écrire cela en 1844, c’est faire preuve d’un sens éclairé des perspectives, c’est vouloir voir loin, et c’est en effet voir loin. Je ne crois pas que, lorsque Louis Timagène Houat écrit cela, il pense formuler une utopie : bien au contraire, il est précis, concret, et plus que de donner un chemin à prendre, il nous met directement sur le chemin. Celui de l’échange et du partage, de la relation apaisée entre des habitants qui portent un même amour pour un territoire.

Mais quelle quantité d’énergie il a fallu, à ses contemporains, esclavagistes ceux-là et qui n’adhéraient donc pas à ses propos, pour faire sombrer ce rêve dans l’oubli ? Imaginez l’énergie déployée pour enfouir aux confins des archives, un texte qui n’allait pas dans le sens attendu de l’époque ? Si Louis Timagène Houat est banni de l’île, c’est parce qu’il lui est reproché de comploter et de vouloir mettre à feu et à sang la colonie…

Vraiment ? Lit-on un message de haine dans ces lignes qu’il écrira quelques années après son procès et son bannissement ? Il était donc urgent de réparer l’infamie qui lui avait été faite, en redonnant ses lettres de noblesse à ce texte bienveillant et porteur d’ambitions saines pour l’île et ses habitants. Merci donc, comme je l’ai déjà mentionné, à Monsieur Raoul Lucas pour le travail d’exhumation qu’il a réalisé ; merci à Stéphanie Lebon pour la qualité et la précision de son travail ; merci également à la Région Réunion, à sa Présidente et à ses services, pour les autorisations données à la Ville afin de pouvoir travailler sur le mur.

Sans cette concordance d’énergie et de volontés, nous n’aurions probablement pas pu réaliser ce geste monumental.

(suite dans notre édition de demain)


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