Religions et société

Une ville invitée à partager la rupture du jeûne du Ramadan

Une grande première à La Réunion : "Alon casse carême ensamb", ou "l’Iftar de la fraternité" au Port

17 novembre 2003

Les responsables et les fidèles des trois mosquées du Port et l’Association musulmane de La Réunion (A.M.R.) ont appelé samedi tous les Portois à ce qui restera pour l’Histoire de notre île une grande première. Nos compatriotes musulmans invitaient la population de toute une ville à partager un moment important : l’Iftar ou rupture du jeûne, accompli chaque jour du mois du Ramadan par plus d’un milliard de personnes dans le monde.

Samedi après-midi s’est déroulée dans la commune du Port une première, qui avec le recul deviendra certainement un événement dont la portée historique et culturelle dépassera probablement les limites de notre île. Un nouveau message de la parole réunionnaise enrichie par ses diversités. Au début du troisième tiers du mois du Ramadan, les trois mosquées de la cité maritime et l’Association musulmane de La Réunion (AMR) invitaient tous les habitants de la ville à partager un des moments les plus importants de ces journées : la rupture du jeûne en fin de journée, ou Iftar.

Pendant un mois lunaire, les musulmans observent un carême auquel ils ont donné une dimension très forte. Entre le lever et le coucher du soleil, ils s’abstiennent de manger, de boire, de fumer, d’avoir des relations sexuelles. La rupture du jeûne a lieu au coucher du soleil, c’est le moment de l’Iftar.
250 personnes avaient ainsi répondu à l’appel chaleureux pour un "Iftar de la fraternité", au foyer du personnel de la Chambre de commerce. Un moment qui s’est tenu dans une ambiance où chacun ressentait le sens de la fraternité, dans une atmosphère de sérénité et de respect.
Après les allocutions de bienvenue prononcées par Mémouna Patel, celle qui a eu l’idée lumineuse de cette action, par l’imam Chaakil Omarjee et Houssen Amode, le président de l’AMR (voir encadré), nos compatriotes musulmans ont expliqué la signification du Ramadan, qui porte en lui une forte dimension spirituelle et morale, au-delà du jeûne. Des nazam (poèmes), interprétés par des jeunes, racontaient des événements essentiels de l’islam, comme par exemple l’arrivée du prophète Mahomet à Médine. Une pièce jouée également par des jeunes décrivait une journée de Ramadan dans une famille musulmane réunionnaise.
Puis l’imam a donné des éclaircissements sur les dimensions symboliques et spirituelles du jeûne. Il s’agit en effet non seulement de se contrôler, mais aussi de rompre avec les habitudes afin de retrouver la signification de ses actes élémentaires. C’est aussi un moment de solidarité, où chaque musulman fait un pas vers ceux qui, encore trop nombreux sur notre planète, n’ont pas la possibilité de manger à leur faim. Un exposé suivi d’un débat afin que chacun puisse trouver réponse à ses questions sur le Ramadan.
Cet échange a été suivi par la lecture d’un poème en créole sur le Ramadan par Noor Issop (voir encadré). "L’Iftar de la fraternité" était entrecoupé par deux des cinq prières quotidiennes que se doit d’accomplir chaque musulman, le visage tourné vers La Mecque. Ainsi, pour l’Assr et Magreeb, l’appel à la prière a résonné dans Le Port, et nos compatriotes musulmans nous invitaient à assister à deux de ces cinq temps forts de leur journée.
À 18 heures 39 précises, au moment où le soleil s’est couché, le jeûne était rompu, progressivement et dans un calme impressionnant, avec la dégustation d’un fruit. L’Iftar s’est prolongé par un repas traditionnel. En conclusion, Mémouna Patel a remercié toutes celles et tous ceux qui se sont associés à ce moment de partage sans précédent dans l’Histoire de notre pays. Elle a indiqué que l’an prochain, "l’Iftar de la fraternité" sera probablement reconduit de manière élargie, peut-être sous la forme de plusieurs après-midi de partage, afin de toucher une part encore plus importante de la population. Elle a souligné qu’un tel événement donne la possibilité à chacun de mieux se connaître. Cela montre que La Réunion tire sa richesse des diversités de son peuple et que le peuple réunionnais peut être fier de son unité dans la diversité.

Houssen Amode : « Une initiative pas banale »
On lira ci-après de larges extraits de l’allocution prononcée par Houssen Amode, président de l’AMR, lors de "l’Iftar de la fraternité" samedi dernier au Port :

« (...) Cette initiative n’est pas banale. Il s’agit même d’une première à La Réunion, où la rupture du jeûne islamique est effectuée avec une telle ampleur, et dans toutes ses dimensions avec les rituels de prière et les pratiques culturelles, dans le partage avec les autres composantes de la population réunionnaise. Si par le passé quelques personnalités - souvent les plus hautes autorités administratives - ont été conviées à l’Iftar dans certaines mosquées, jamais toute une ville n’y a été associée, comme c’est le cas cet après-midi à travers la représentation de ses quartiers, de ses communautés religieuses et éducatives, de ses acteurs socio-culturels, en fait à travers ses forces vives.

L’Islam a un ancrage ancien à La Réunion. Les premiers Indo-musulmans ont été signalés dans l’île vers 1850.
Parmi les engagés, nombre d’entre eux - d’origine indienne, comorienne, africaine - étaient de confession musulmane. La plus vieille mosquée, celle de Saint-Denis, date de 1905, et elle est aujourd’hui la plus ancienne de France comme aiment à le souligner les plus hautes autorités de l’État.
Si les musulmans de l’île, à l’instar des autres sensibilités religieuses, ont l’immense privilège d’exercer librement leur culte, de pouvoir construire les édifices culturels et éducatifs, très présents et visibles dans toutes les villes avec leur particularisme architectural, d’avoir une vie associative riche et diversifiée, c’est en raison de la liberté de conscience qui dans notre pays est un droit fondamental reconnu par la Constitution. Mais c’est aussi en raison de l’Histoire propre à notre île et de sa richesse de peuplement, qui conduisent à faciliter la reconnaissance mutuelle, et de façon évidente à une plus grande tolérance.
Il n’en reste pas moins que la situation demeure fragile et nécessite la vigilance de tous pour éviter les atteintes à cette cohésion dont notre île peut s’enorgueillir.
Elle l’a démontré à plusieurs titres, et à différentes occasions :

- en initiant très tôt le dialogue interculturel et interreligieux, dont l’exemplarité vient encore d’être soulignée avec l’initiative - prise par une association culturelle de Réunionnais de métropole - d’inviter à la mairie de Paris pour présenter l’expérience réunionnaise le Groupe de dialogue Inter-religieux, actuellement présidé par notre coreligionnaire Idriss Issop-Banian ;

- en manifestant pour la Paix dans le monde, déjà depuis la première guerre du Golfe, et de façon impressionnante après les événements du 11 septembre 2001, avec l’initiative de la marche du Collectif "Donn’ la main pour un monde de paix".
Le contexte international et national placent aujourd’hui l’islam et les musulmans sous les feux de l’actualité, avec les risques médiatiques inévitables, sur fond d’ignorance, de méconnaissance, de préjugés, par ailleurs susceptibles d’influencer défavorablement l’opinion publique.

Les tensions au niveau international débouchant sur des guerres ou des actes terroristes apparaissent de plus en plus comme ayant un fondement religieux, alors que sont occultés ou moins perçus les aspects politiques : la situation en Palestine relève ainsi plus d’un problème de décolonisation et de respect des résolutions de l’ONU ; et, s’agissant de la guerre en Irak, l’opinion publique dans sa grande majorité, notamment européenne et française, ne s’est pas trompée sur les motivations réelles de son déclenchement, qui seraient plutôt de nature économique et géo-stratégique.
Nous sommes bien loin là du "choc des civilisations" annoncé par les tenants d’une nouvelle croisade.
Au niveau national l’année 2003 a été celle de la reconnaissance officielle de l’Islam de France, avec la consultation de la communauté musulmane et l’installation, après élection, d’une part du Conseil National du Culte Musulman, et d’autre part des Conseils Régionaux du Culte Musulman, dont celui de La Réunion, interlocuteur des pouvoirs publics pour les questions relatives notamment à l’exercice du culte islamique.
Elle est aussi l’année du débat sur la laïcité provoqué par la question du voile - en fait un foulard, qualifié d’islamique - et qui est devenu un problème national à partir de quelques dizaines de cas de conflit, souvent résolus par la concertation, alors qu’il y a 70.000 établissements scolaires et plus de 12 millions d’élèves.
Il est à regretter que l’attention et les énergies ne soient pas plutôt focalisées sur les efforts à consentir pour une meilleure intégration de ces jeunes, souvent sans repères religieux, dont les parents, des immigrés de tradition musulmane, sont plusieurs centaines de milliers à être morts pour la défense et la libération de la France à l’occasion des 2 grandes guerres mondiales, ou sont venus en masse apporter leur force de travail pour la reconstruction du pays et son développement industriel. L’imminence d’une loi interdisant le port d’insignes religieux dans les écoles publiques, en sus des difficultés d’application et surtout de l’écueil à éviter en terme de discrimination entre les religions, n’est pas sans nous inquiéter à La Réunion, où le problème, en raison des pratiques culturelles plurielles, ne s’est pas véritablement posé, et aura donc été pratiquement importé.

"L’Iftar de la fraternité" - qui nous réunit aujourd’hui malgré nos sensibilités différentes - si elle reste une démarche modeste, n’en demeure pas moins « exemplaire d’une manière d’être réunionnaise », riche dans sa diversité et imprégnée de la nécessité d’une meilleure connaissance réciproque pour éviter les préjugés. Si cette rencontre a lieu au Port, elle n’est pas non plus pour nous étonner, connaissant le dynamisme de la communauté musulmane portoise et de ses femmes en particulier - qui ont été les principaux artisans de la manifestation -, connaissant aussi cette ville portuaire, par essence ouverte au monde, qui par le passé a démontré son respect pour le pluralisme et la diversité, en initiant notamment :

- le "Parc cultuel", havre d’accueil d’édifices de toutes les religions, le dernier en date étant un ashram de la communauté hindouiste,

- la "feuille musulmane" du cimetière paysager,

- ou encore en facilitant la réalisation de l’unique mosquée comorienne de l’île, d’obédience chaféïte.
Je remercie tous ceux qui de près ou de loin ont été à l’origine de notre rencontre et ont concouru à sa réussite, et plus particulièrement - et elle se reconnaîtra - celle qui a été la cheville ouvrière de l’opération.
Je remercie les instances publiques, Mairie et Chambre de commerce, pour leur concours.

Je remercie tous les invités qui nous ont honorés de leur présence et de leur amitié ».

Bol dessus...
Bol dessus, cari dessous,

La vie y ça va comme çà.

Pas besoin d’croire Marmaille

Que carême lé dur

Et qu’à chaque instant mi crie "aïe".

Pourtant zot y voit

Mi perde pas l’allure,

Mon teint lé pareil pastèck

Et mi carbure à sec ;

Sans perde lo poids.

Bol dessus, cari dessous,

La vie y ça va comme çà.

Si l’estomac y serre,

Si goyave y perde la couleur

Ou ! A ou, perdre pas la tête,

Car dann coco néna gouvernail ;

Toute z’affaire y passe d’si son rail.

Mette à ou d’accord avec li,

Comme ça zotte y cadence en fête ;

Après, lé comme do lo d’si feuille songe.

Bol dessus, cari dessous,

La vie y ça va comme çà.

Lève lo yeux, lève la main ;

Li garde à ou avec son bann dallons

Après Li dit : « Zotte la vu,

Ça un mounne néna lo cœur,

Li la pas manger mais li n’a point chagrin ;

Amène à li dann salon !

Po li, z’affaire néna bon saveur ».

Bol dessus, cari dedans,

La vie... y çà va comme çà.

Le Port, le 18 octobre 2003.

Noor Issop (Luno) .


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