Le début de l’engagement politique de Gisele Rabesahala -8-

Actions humanitaires et politiques du Comité de solidarité de Madagascar

10 janvier, par Georges Radebason

A partir de sa création en 1950, le Comité de solidarité de Madagascar dont Gisèle Rabesahala est la secrétaire générale, mène des actions de solidarité envers les prisonniers politiques malgaches condamnés par la justice coloniale dans le cadre de la répression de la révolte de 1947. Il a des liens avec le Comité de solidarité de La Réunion initié par Raymond Vergès, et des organisations progressistes du monde. Le Comité de solidarité de Madagascar s’implique également pour obtenir la libération de ces prisonniers politiques en revendiquant le vote par les députés français d’une loi d’amnistie. A noter qu’en 1953, le gouvernement français vit voter une loi amnistiant les collaborateurs des nazis, et refusa le vote d’une même loi pour les victimes de la répression coloniale.

Les actions humanitaires

La condamnation et l’exécution des détenus se poursuivent. Le COSOMA (Comité de solidarité de Madagascar) suit de près le cours des procès sur toute l’île. A Mananjary, l’un des épicentres de l’insurrection, 500 détenus sont jugés par la Cour criminelle de 22 octobre au 22 novembre 1951. 26 d’entre eux sont condamnés à mort, 20 condamnés à la détention perpétuelle, les autres sont frappés par les peines de mise en résidence forcée, d’interdiction de séjour (1). Le procès de Majunga d’octobre 1952, annonce une condamnation à mort et six condamnations d’emprisonnement à perpétuité. De Diego, Majunga, Tamatave, Tananarive, Fianarantsoa, Manakara, Mananjary, Ambatondrazaka,… les détenus et leurs familles reçoivent régulièrement des aides envoyées par le COSOMA.
Depuis la création du COSOMA, Gisèle Rabesahala est souvent l’invitée des organisations progressistes de plusieurs pays. Elle participe à plusieurs reprises aux conférences politiques internationales, en France et dans les pays de l’Est, URSS, Tchécoslovaquie, République démocratique allemande. Grace à la ferveur de Gisèle Rabesahala, le COSOMA mobilise des organisations internationales pour l’aider dans sa mission humanitaire en faveur des prisonniers politiques et leurs familles : le Secours populaire français, l’Union des femmes françaises, la Fédération démocratique internationale des femmes basée à Prague. Le comité établit aussi des relations avec les organisations progressistes de la Réunion comme le Comité de solidarité de La Réunion, à l’initiative du Dr Raymond Vergès, député réunionnais parmi les farouches défenseurs de la proposition de loi d’amnistie pour les prisonniers politiques malgaches. Avec d’importantes aides reçues de la part de ces organisations, le comité aide les prisonniers et leurs familles sur toute l’île. Il envoie des vivres, des vêtements, des médicaments aux prisonniers et à leurs familles. A Tananarive, il crée une école pour les enfants de ces prisonniers. Le COSOMA est devenu populaire grâce à ses actions en faveurs des prisonniers et leurs familles. Son existence fait naître chez les Malgaches une lueur d’espoir face à la méchanceté colonialiste. Il ne plaît pas à l’administration coloniale qui essaie à tout prix de le faire tomber.

L’engagement politique

La lutte politique de l’équipe du COSOMA consiste surtout à dénoncer les crimes et les répressions coloniales.
A cette époque, environ 5.000 Malgaches restent encore sous les verrous. Le Comité de solidarité a comme principale revendication la libération des prisonniers de 1947. Considérés par le pouvoir comme des criminels, ces prisonniers sont, pour l’équipe du COSOMA, des patriotes victimes de l’atrocité colonialiste, donc il est du devoir des Malgaches de lutter pour leur libération. Sans apport de l’extérieur, il est quasiment impossible pour le comité de faire face au pouvoir français. Consciente de cette situation, Gisèle Rabesahala sollicite le soutien des organisations françaises et internationales et il faut retenir que la lutte du COSOMA se déroule dans le contexte de la guerre froide.
Depuis la fin de l’année 1946, l’entente entre le PCF et ses partenaires au sein du gouvernement français ne cesse de se dégrader. La guerre froide se met place progressivement. L’Union soviétique renforce sa mainmise sur l’Europe de l’Est et tente son expansion vers l’Ouest, en Grèce, Italie. Face à cette menace expansionniste soviétique, les États-Unis mettent en place la politique du containment visant à endiguer l’avancée soviétique qui est, pour les États-Unis et leurs alliés occidentaux, une menace pour la liberté et la démocratie. Il n’est pas question pour les États-Unis que l’Italie et la France tombent sous l’influence soviétique. Ils utilisent leurs armes économiques sous forme d’aides pour ces États européens en quête de financement pour leurs redressements. Les points de vue se divergent au sein du gouvernement français. Tout en restant au gouvernement, le PCF critique le pouvoir, il dénonce les conflits coloniaux, condamne l’intervention en Indochine dont ses députés ne votent pas les crédits militaires et proteste, en mars 1947, contre la répression de Madagascar (2). Après l’acceptation par le gouvernement français l’aide américaine dans le cadre du plan Marshall, la France signe son acte d’adhésion dans le bloc américain, elle fait partie donc de l’alliance militaire l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) et de l’organisation économique sous l’égide américaine, l’OECE (Organisation européenne de coopération économique) devenue par la suite OCDE (Organisation de coopération et de développement économique). Désormais, le PCF, sur le point d’être écarté du gouvernement, multiplie son soutien aux mouvements de contestation en France : grèves syndicales, luttes d’émancipation dans les colonies. C’est ainsi que le PCF et ses organes satellites soutiennent et internationalisent la lutte pacifique menée par Gisèle Rabesahala et le COSOMA.
Dans son combat politique, le Comité de Gisèle Rabesahala est donc soutenu par des organisations progressistes de plusieurs pays. Il a une large audience internationale. Le Congrès mondial des partisans de la paix, rassemblant une quarantaine des pays, réuni à Varsovie du 17 au 21 novembre 1950 formule une motion de solidarité envers les prisonniers politiques malgaches (3) :
« Les partisans de la paix réunis à Varsovie du 17 au 21 novembre 1950, au nom des peuples de leurs pays respectifs, adressent leur salut fraternel et expriment leur profonde sympathie aux vingt mille patriotes malgaches emprisonnés pour leurs activités démocratiques et légitimes et leur amour de l’indépendance et de la paix. Les partisans de la paix s’élèvent avec rigueur contre la féroce répression colonialiste… Ils assurent les emprisonnés de toute leur solidarité… » (4).
Comment le comité mène-t-il son combat ? Il alerte les opinions malgaches, française et internationale par la voie de la presse. Il crée son propre journal Fifanampiana qui rapporte constamment les conditions de vie des prisonniers et les mauvais traitements. Le journal ne cesse de dénoncer l’iniquité des procès coloniaux. Ces informations sont relayées sur les médias internationaux. L’organe officiel du Secours populaire français, La Défense, pour alerter l’opinion publique française, publie activement des informations sur la situation à Madagascar. Le journal, qui devient le porte parole des prisonniers politiques malgaches, suit de près les procès des accusés de l’insurrection et dénonce les verdicts.

La lutte pour l’amnistie

Le comité travaille durement, sans relâche pour la libération des prisonniers. Avec les députés communistes à l’Assemblée nationale, il tente une action législative : proposer une loi d’amnistie. Cette option n’est pas facile par le fait que les communistes ne soient pas majoritaires à l’hémicycle. En septembre 1951, le groupe communiste de l’Assemblée nationale dépose une proposition de loi d’amnistie qui vise à libérer tous les condamnés pour des raisons politiques ou de luttes populaires dans les colonies. Cette proposition de loi est ajournée. A Madagascar, l’Eglise catholique et les missions protestantes adhèrent aussi à cette cause. Pourtant, le PADESM désapprouve l’idée d’amnistie. Les députés du PADESM, Pascal Velonjara et Jonah Ranaivo comptent parmi les farouches opposants à la loi d’amnistie.
En 1953, le gouvernement français présente à l’Assemblée nationale un projet de loi d’amnistie pour les collaborateurs des nazis. Les députés communistes et socialistes apportent un amendement visant à élargir l’amnistie aux crimes et délits commis en 1947 à Madagascar. Encore une fois, la tentative échoue, l’amendement est rejeté par la majorité. Pendant que la chambre basse examine le projet de loi d’amnistie, à Madagascar, le Comité de solidarité lance une pétition demandant l’amnistie intégrale et immédiate pour les prisonniers politiques malgaches. Il la fait circuler dans tout Madagascar. La collecte de signatures est une entreprise très difficile pour le COSOMA. Traumatisés par la méthode répressive de l’administration, les gens, étant favorables à la pétition mais par crainte de représailles, hésitent à y apposer leurs signatures. Malgré la peur généralisée, la pétition reçoit encore 16.500 signatures (5). Cette action entreprise par le COSOMA conduit le militant catholique français, le Professeur Massignon à créer à Paris le 14 février 1954 le Comité pour l’amnistie aux condamnés politiques d’Outre-mer. Ce comité recueille l’adhésion de nombreuses personnalités politiques, syndicales et universitaires (6). C’est à ce comité que le COSOMA envoie les signatures collectées dans le cadre de la pétition. Le Professeur Massignon est venu à Madagascar pour rencontrer les dirigeants du COSOMA, les autorités et les familles des prisonniers. Le Comité pour l’amnistie aux condamnés politiques d’Outre-mer remet au président de la République française, en juin 1955, la pétition préparée par le COSOMA. En France, le mouvement en faveur de l’amnistie des prisonniers politiques se développe. Pour faire pression sur le gouvernement français, le mouvement du Professeur Massignon organise à Paris en juillet un meeting. L’Association des étudiants originaires de Madagascar (AEOM) (7) rejoint le mouvement réclamant l’amnistie générale.
A Madagascar, les différents mouvements revendiquant l’amnistie agissent en ordre dispersé. En 1955, le COSOMA se rendant compte de la nécessité de la solidarité, lance un appel à tous les Malgaches acquis à cette cause, partis politiques, associations de jeunesses, groupements syndicaux, à s’unir pour former un bloc avec le Comité pour l’amnistie aux condamnés politiques d’Outre-mer. En 1956, le Comité national pour l’amnistie aux condamnés (CNAC) est constitué sous la conduite du Pasteur Rakotovao Johanesa.

(à suivre)

Georges Radebason

(1) Rabesahala Gisèle, « Témoignage de Gisèle Rabesahala », in Omaly sy Anio n° 41-44, Antananarivo, 2001, P. 16
(2) J. Y. Le Naour, Histoire du XXe siècle, Hachette, Paris, 2002, p.336
(3) Le COSOMA revendique à ce que ces prisonniers soient traités comme des prisonniers politiques mais pas comme des prisonniers de droit commun.
(4) La Défense n°249 du 3 décembre 1950
(5) Lucile Rabearimanana, La presse d’opinion à Madagascar de 1947 à 1956 : contribution à l’histoire du nationalisme au lendemain de l’insurrection à la veille de la loi cadre, Librairie Mixte, 1980, P.224
(6) Ibid. P.226
(7) Créée en 1935, l’AEOM se fait affilier à deux organisations communistes internationales, l’Union internationale des étudiants et la Fédération de la jeunesse démocratique

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