Relations Nord - Sud

Nouveau naufrage de ’kwassa kwassa’ au large de Mayotte

Fermer les frontières aux humains : une voie sans issue

4 mars 2003

Un nouveau drame de l’émigration s’est déroulé vendredi dernier dans notre région : 7 disparus et un mort au large de Mayotte. Autre événement : le décollage hier matin à Paris d’un avion pour Abidjan et Dakar avec à son bord 54 travailleurs africains expulsés de France. Les pays européens ne cessent de fermer leurs frontières. Mais en refusant d’assumer une situation héritée de la colonisation, ils provoquent des drames qui risquent de se multiplier si rien ne change. Le pillage des richesses des pays du Sud continue de se poursuivre et alimente constamment un mouvement migratoire vers les pays riches. Un mouvement qui n’est pas prêt de se tarir du fait des évolutions démographiques respectives et de l’aggravation du fossé entre les deux mondes de la planète.

Le naufrage d’un "kwassa kwassa" en provenance d’Anjouan et à destination de Mayotte la semaine dernière est une nouvelle tragédie : 1 mort et 7 disparus. « Des sources fiables avancent le chiffre de plus de 1.000 décès ou disparitions en mer depuis le milieu des années 1990 », indique la PANA. Ces accidents sont pour l’essentiel dus à des pannes de moteur, à la surcharge des embarcations ou au manque d’expérience des pilotes de "kwassa-kwassa", les frêles embarcations à moteur sur lesquelles les candidats à l’émigration tentent de franchir clandestinement la soixantaine de kilomètres séparant l’île d’Anjouan de celle de Mayotte.
Alors que la circulation dans l’archipel s’était toujours effectuée librement, en 1995 un visa d’entrée avait été imposé à tout habitant d’Anjouan, de Moheli ou de Grande Comore souhaitant se rendre à Mayotte, générant depuis une explosion des flux migratoires clandestins. Et de nombreuses tragédies, car 1.000 décès en un peu plus de dix ans, rapportés à la population de l’archipel, c’est énorme. En 1997, on estimait à 600.000 le nombre d’habitants de la Grande Comore, de Moheli et d’Anjouan. C’est comme si en un peu plus de 10 ans, au moins 100.000 Français étaient morts noyés dans le Pas de Calais en cherchant à se rendre en Grande-Bretagne. Pourtant, les candidats à la traversée ne manquent pas, malgré le risque de finir noyé ou dévoré par les requins de l’océan Indien.

10.000 expulsions chaque année

S’il est indéniable que le niveau de vie relativement élevé de Mayotte par rapport aux autres îles de l’archipel est l’une des causes essentielle de ces flux migratoires, certains observateurs soulignent toutefois que de nombreux Anjouanais, Moheliens ou Grand Comoriens se rendent clandestinement à Mayotte pour y régler des affaires familiales. Mais depuis 1995, une barrière se dresse entre des habitants qui ont vécu ensemble pendant des centaines d’années et qui entretiennent des liens étroits. Une frontière plus meurtrière que le mur qui séparait Berlin.
« On refoule de Mayotte 10.000 migrants chaque année, sans compter quelques "départs volontaires". Il en revient 30.000 », indiquait un article du "Monde diplomatique" d’avril 2002. Le même article indique qu’en 2001, à Mayotte, « la répression, la rétention et les soins aux étrangers coûtent dix fois l’aide française, publique ou privée, dévolue » au reste de l’archipel. Sans compter le racisme qui se développe chez les Mahorais à l’encontre des autres habitants de l’archipel. Une intolérance qui avait notamment conduit à rendre impossible la mise en place d’une liaison aérienne directe Mayotte-Paris via Moroni pour faire le plein et prendre des passagers supplémentaires.
Des manifestations avaient été organisées à Mayotte en janvier 2001, lors de la venue du Premier ministre Lionel Jospin, puis en mai 2001, à l’occasion de la visite du président Jacques Chirac, pour attirer l’attention des plus hautes autorités sur cette véritable crise humanitaire. Mais depuis, il est toujours très difficile de se rendre légalement à Mayotte pour les autres habitants de l’archipel. Dans le même temps, les Mahorais souhaitent rattraper le niveau de vie de la France. Cette situation va causer la multiplication des traversées clandestines.

Traités comme des délinquants

Tout comme les expulsions collectives qui commencent à être remises en place en France (voir encadré), le drame des "kwassa kwassa" est révélateur de l’approfondissement des inégalités dans le monde. Des pays à la population vieillissante continuent de construire une partie de leur richesse sur le pillage de la majorité des peuples de la planète, qui sont également confrontés à un accroissement démographique sans précédent. Pourtant, des flux migratoires sont autorisés et même encouragés par les pays du Nord. Ils concernent les jeunes formés dans les pays pauvres. Ainsi, les pays du Sud sacrifient des moyens énormes par rapport à leurs ressources dans la formation, pour voir leurs jeunes s’envoler vers l’Europe ou l’Amérique du Nord, à la recherche d’un niveau de vie sans comparaison.
D’autres jeunes des pays du Sud n’ont pas eu la possibilité de bénéficier d’une formation. Pour eux, les frontières des pays riches sont fermées, même si des employeurs peu scrupuleux ont recours à ces travailleurs pour les exploiter. Mais malgré tout, ces émigrants tentent l’aventure. Ils estiment que le voyage vers les anciennes puissances colonisatrices va permettre de vivre sans connaître la faim et l’incertitude du lendemain. Et lorsqu’ils atterrissent, ils sont considérés comme des délinquants, renvoyés vers leur pays d’origine menottes au poignet, souvent sans jugement.

La responsabilité de l’Occident

Il est pourtant indéniable que les classes dominantes des pays occidentaux portent une lourde responsabilité dans le retard de développement des autres pays de la planète. Pendant des siècles, la pratique de la traite et de l’esclavage, la colonisation et le pillage des ressources naturelles ont complètement désorganisé des sociétés. Alors qu’avant la succession de ces crimes, les habitants des pays du Sud avaient un niveau de vie équivalent à la grande majorité des ancêtres des Européens.
Il est par ailleurs indiscutable que sur un plan démographique, la part des habitants des pays riches par rapport à la population mondiale va diminuer pendant au moins des dizaines d’années. Cela est dû au phénomène de transition démographique.
Cela veut dire que tant que la répartition des richesses au niveau de la planète sera toujours aussi inégale, le nombre d’émigrants en provenance des pays du Sud ne cessera d’augmenter. Le renforcement de la répression dans ce domaine risque donc de conduire à une impasse, comme le montre le drame quotidien des "kwassa kwassa" entre Anjouan et Mayotte, et ne fait que détourner l’attention de l’opinion de l’origine de ce phénomène migratoire. En tout cas, cela ne règle pas le problème.
Traiter dignement et humainement les personnes qui abandonnent tout pour l’espoir d’une vie meilleure pourrait être un premier pas vers la réparation des crimes de l’esclavage et de la colonisation. Mais les dirigeants des pays occidentaux sont-ils prêts à cette remise en question ? Pendant ce temps, à deux heures de La Réunion, une frontière meurtrière continue de se dresser, symbolisant la fracture entre Nord et Sud.

Retour des charters de la honte
Autre drame de l’émigration concernant notre région, l’expulsion de 54 personnes du territoire français dans un avion spécialement affrété. L’opération a été menée hier dans la plus grande discrétion par le ministère de l’Intérieur pour ce « retour groupé ». L’embarquement des expulsés s’est déroulé sans incident sur une aire éloignée des aérogares, selon une source aéroportuaire. À bord, se trouvaient 30 Ivoiriens et 24 Sénégalais, « non admis ou déboutés de leur demande d’asile politique. Ils ne sont jamais entrés sur le territoire national », toujours selon une source aéroportuaire. « L’objectif de l’opération est de désengorger la zone d’attente de Roissy ». Tous les expulsés viennent de cette zone d’attente, actuellement surpeuplée, sauf un Sénégalais arrivé par la route d’Allemagne d’où il est expulsé. Une escorte de 89 agents de police, dont des policiers allemands, a accompagné les expulsés. D’importantes forces de police étaient déployées hier matin sur la plate-forme de Roissy pour sécuriser l’opération.
Vendredi, la Direction générale de la police nationale (DGPN) avait indiqué que des « retours groupés » d’étrangers en situation irrégulière étaient prévus au départ de Roissy « sur des vols commerciaux ou spéciaux », en fonction des pressions migratoires. « Il y a une très forte pression migratoire en ce moment, en majorité des Africains et des Chinois. On compte jusqu’à 70 arrivées par jour d’étrangers en situation irrégulière à Roissy ». Conséquence, « il y avait vendredi 427 personnes en zone d’attente à Roissy pour 294 places, dont 27 mineurs gardés à l’écart », avait précisé la DGPN, soulignant « une situation qui dépasse le seuil du tolérable ».
Une expulsion collective avait déjà eu lieu mercredi : 15 Chinois non admis ont été reconduits en Chine, escortés par 30 agents de la police aux frontières (PAF), sur un vol commercial, selon la même source. « On est en train de réfléchir à d’autres retours groupés, sur des vols commerciaux ou spéciaux. Les vols spéciaux permettent de meilleures conditions humanitaires, une meilleure sécurité et des économies substantielles. Ce sera en fonction des pressions migratoires », a indiqué la DGPN.
Mais les associations de défense des immigrés ont protesté contre « l’organisation de ces charters », qui « privent les étrangers de toute possibilité de résistance » et « peuvent avoir pour conséquence la recherche abusive d’étrangers pour rentabiliser le vol ». Par ailleurs, dans ces avions spéciaux, personne ne peut témoigner de ce qui s’y passe.
Ile de Mayotte

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