André Oraison à propos d’un éventuel retour des habitants des îles Diego Garcia, Peros Banhos et Salomon sur leurs terres natales - 5 -

La violation par les Britanniques du droit international de la décolonisation

20 juin 2006

Après avoir relaté le contexte historique de l’archipel des Chagos, expliquant comment et pourquoi la situation en est arrivée à ce qu’elle est aujourd’hui, le professeur André Oraison aborde aujourd’hui le côté juridique du problème.

Conformément à l’accord secret anglo-américain conclu en 1961 entre Harold Macmillan et John Fitzgerald Kennedy, le Gouvernement de Londres a tout mis en œuvre pour amputer les Chagos de la colonie anglaise de Maurice avant son accession à la souveraineté et pour les dépeupler sans l’assentiment de leurs habitants. Réalisée moins de trois ans avant l’indépendance de Maurice, proclamée le 12 mars 1968, l’excision des Chagos méconnaît le principe coutumier de l’intangibilité des frontières coloniales ainsi que le "droit des peuples à disposer d’eux-mêmes", tel qu’il est inscrit dans la Charte des Nations unies. Cette violation des règles les plus élémentaires du droit international au détriment des Chagossiens et des Mauriciens est, par ailleurs, périodiquement dénoncée par le Gouvernement de Port-Louis. Le Premier ministre mauricien, Sir Anerood Jugnauth, a ainsi revendiqué, le 11 novembre 2001, à l’Assemblée générale de l’ONU le groupe des Chagos en invoquant le droit international de la décolonisation. Il a également insisté sur la situation critique des Chagossiens : "Nous nous préoccupons également des souffrances de tous ces Mauriciens que l’on appelle "Ilois" et qui, en violation flagrante de leurs droits fondamentaux, ont été évincés de force par la puissance coloniale des îles qui forment l’archipel".

Les Chagossiens victimes de conflits qui ne les concernent pas

Étrangers au monde de la géopolitique, les Chagossiens ont bien été les premières victimes de la rivalité idéologique Est-Ouest dans cette partie du monde. Au surplus, le sort de ces insulaires a été pendant longtemps tragique. L’hospitalité mauricienne a fait défaut à leur égard : aucune structure digne de ce nom n’a été mise en place pour les accueillir à Port-Louis. Exilés dans un pays pauvre et surpeuplé, ceux qu’on a parfois appelés les "Palestiniens de l’Océan Indien" ont été "dispatchés" dans les bidonvilles de Port-Louis - notamment à Baie du Tombeau et à Pointe aux Sables - et abandonnés à leur sort le jour même de leur arrivée à Maurice. Très nombreux sont ceux qui, pendant longtemps, n’ont pas trouvé de travail, ont souffert de malnutrition ou ont sombré dans l’alcoolisme, la délinquance, la prostitution ou la toxicomanie quand ce n’est pas dans le désespoir, la violence, la démence ou le suicide. Presque tous ont connu l’exclusion sociale ou le mépris de la population mauricienne ou ont eu des difficultés à s’insérer dans une société pourtant réputée "arc-en-ciel" (1).

De surcroît, un épais mystère a entouré le sort de la première compensation financière de 650.000 livres sterling versée le 28 octobre 1972 au Gouvernement de Port-Louis par la Grande-Bretagne à la suite d’un accord anglo-mauricien aux fins de faciliter la "réinsertion" des Chagossiens à Maurice. Pendant plus de cinq ans, ces derniers n’ont rien reçu. C’est seulement à la suite du Rapport Prosser publié en 1976 que les exilés ont perçu, le 10 mars 1978, une indemnité de 7 590 roupies mauriciennes, c’est-à-dire une somme d’autant plus dérisoire - à peine suffisante pour remplacer leur modeste garde-robe ! - qu’ils avaient été obligés de tout abandonner aux Chagos. Mais certains d’entre eux ont réclamé une somme additionnelle afin de tenir compte d’une inflation hyper galopante à Maurice. Finalement, dans un esprit de bonne volonté, la Grande-Bretagne leur a attribué une compensation supplémentaire de 4 millions de livres sterling - "pour solde de tout compte" ("in full and final discharge") - en vertu d’un nouvel accord anglo-mauricien signé à Port-Louis le 7 juillet 1982. Pour compléter cette aide britannique, les autorités mauriciennes ont pour leur part octroyé, la même année, aux Chagossiens un million de livres sterling sous forme de lopins de terre. Enfin, lors d’une visite officielle effectuée à Port-Louis en 1982, en tant que Premier ministre de l’Inde, Indira Gandhi leur a fait don d’un million de roupies indiennes. Avec ces diverses indemnités, plutôt modestes, la plupart des Chagossiens ont finalement opté pour l’acquisition de maisonnettes dont la construction - toujours à la périphérie immédiate de Port-Louis - a été achevée en 1990.

Les revendications du GRC

En tant que président du Groupe Réfugiés Chagos (GRC), fondé en 1983, Olivier Bancoult n’entend pas prendre parti dans le conflit anglo-mauricien proprement dit sur les Chagos. En revanche, il a formulé une série de nouvelles revendications auprès du Gouvernement de Londres. Il a revendiqué au profit des Chagossiens de souche - auxquels il convient d’ajouter leurs conjoints et leurs descendants directs (enfants et petits-enfants) nés à Maurice, soit 8500 personnes recensées en 2006 - la nationalité britannique à part entière, une troisième compensation financière de la part de la Grande-Bretagne et le versement d’une pension à vie pour réparer les préjudices de toute nature causés par la déportation des Chagossiens dans l’intérêt des Puissances occidentales ainsi qu’un "droit de retour définitif" de ces populations sur toutes les îles qui composent l’archipel.

Sur ce dernier point, la Haute Cour de justice britannique a déjà donné raison aux membres du GRC qui l’avaient saisi. Dans sa décision du 3 novembre 2000, la Haute juridiction considère illégale l’Immigration Ordinance édictée le 16 avril 1971 par le commissaire du BIOT en vue de déclarer persona non grata sur leurs propres terres natales les habitants des Chagos. Par ailleurs, le Gouvernement de Londres a récemment accordé aux habitants de 14 territoires d’outre-mer dépendants de la Grande-Bretagne en général et aux populations des Chagos en particulier la citoyenneté britannique à part entière. Cette démarche fait suite au vote définitif par le Parlement de Londres du British Overseas Territories Act (BOTA) qui pose le principe de l’octroi de la pleine citoyenneté britannique à tous les citoyens des territoires d’outre-mer qui en font la demande. Applicable depuis le 21 mai 2002, cette loi vise toutes les personnes nées aux Chagos avant leur expulsion vers Maurice et leurs enfants nés à Maurice de père chagossien ou de mère chagossienne.

Mais les USA ont fait savoir qu’ils s’opposeraient au retour des Chagossiens à Diego Garcia aussi longtemps que cet îlot serait utile aux intérêts des Puissances occidentales. C’est dans cette optique que le Gouvernement de Londres avait édicté le 10 juin 2004 deux nouveaux décrets-lois interdisant aux Chagossiens déplacés de retourner sur leurs terres natales pour une période indéterminée. Mais ces actes juridiques émanant du pouvoir exécutif britannique viennent d’être annulés par la Haute Cour de Justice de Londres, le jeudi 11 mai 2006 (2). Que dire alors en guise de conclusion ?

À suivre...

(1) Voir Oraison (A.), "Le drame des populations déportées des îles Diego Garcia, Peros Banhos et Salomon (L’éternel combat du pot de terre contre le pot de fer)", R.R.J.D.P., 2005/3, pp. 1633-1648.
(2) Voir David (P.), "La justice britannique confirme le droit des Chagossiens au retour. Une victoire historique", Témoignages, samedi 13 et dimanche 14 mai 2006, pp. 8-9.

Chagos

Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année

La kaz Tikok

23 avril, par Christian Fontaine

Promié tan, la kaz bann Biganbé navé dé piès minm parèy sad bann Maksimin, soman té kouvèr an tol. Malérèzman, siklone 48 la ni, la lèv lo ti (…)


+ Lus