Le président de la CGPER souligne la participation d’Albioma aux discussions, les efforts de l’État et déplore l’attitude de Tereos

Jean-Michel Moutama : « Nous n’allons rien lâcher et lutter jusqu’à obtenir satisfaction »

4 juillet 2022

Jean-Michel Moutama, président de la CGPER et membre de l’Intersyndicale agricole de La Réunion, fait le point sur la première semaine de négociations de la Convention canne à la Préfecture. Le président de la CGPER note la participation d’Albioma aux discussions, les efforts de l’État et déplore l’attitude de Tereos. Entre avancées et blocages, il souligne l’importance de continuer la lutte jusqu’à ce que l’or vert produit par les planteurs réunionnais soit payé à son juste prix par tous les industriels qui en tirent profit.

Depuis le début de la semaine dernière, les négociations de la Convention canne se déroulent à la Préfecture sous l’égide du préfet, comment interprétez-vous cette intervention de l’État dans des négociations entre fournisseurs de matière première et industriels ?

Jean-Michel Moutama : Tout d’abord le fait qu’elles se déroulent à la Préfecture, l’État a décidé de s’impliquer fortement dans les négociations pour arriver le plus rapidement à un accord. Le préfet en personne participe d’ailleurs directement aux discussions.
Je rappelle que le 16 juin, l’Intersyndicale agricole de La Réunion a déposé une motion à la Préfecture demandant notamment à l’État « d’apporter des réponses claires sur son positionnement financier pour tous les maillons de la filière afin de garantir la pérennité des entreprises par un revenu décent ». L’union des syndicats que soutient depuis le départ la CGPER a donc permis d’obtenir déjà une avancée sur ce point.
Chaque année, la filière canne-sucre-rhum-énergie a droit à 144 millions d’euros d’aides de l’État et de l’Europe. L’État est également responsable de décisions qui impactent directement la filière et donc le revenu des planteurs. Par exemple, c’est l’Etat qui, par l’intermédiaire de la Commission de régulation de l’énergie, la CRE, fixe le prix de la recette bagasse. C’est aussi l’État qui a la responsabilité de défendre au plus haut niveau les intérêts de la filière en intervenant au niveau de l’Europe pour négocier les quotas de rhum alloués aux distilleries réunionnaises, ou en agissant pour que les intérêts du producteur de sucre Tereos océan Indien soient défendus en limitant les importations de sucres de pays tiers à bas coût sur le marché européen.
Je pense surtout que l’État a bien conscience du poids économique et social de la filière à La Réunion : la canne pousse dans 23 communes sur 24, et là où il n’y a pas de plantations, au Port, se situent toutes les infrastructures permettant l’exportation de notre sucre. La filière canne-sucre-rhum-énergie représente près de 20.000 emplois, et sa disparition ne pourrait que déboucher sur une catastrophe sociale dans une île déjà durement touchée par le chômage.

Quel bilan fait la CGPER de cette première semaine de négociations à la Préfecture ?

Jean-Michel Moutama : Selon moi, un point essentiel est que nous avons réussi à amener autour de la table l’ensemble des industries qui tirent des profits du travail de nos exploitations cannières. En effet, pour la première fois, Albioma a participé directement aux discussions, ce que ce producteur d’électricité n’avait jamais fait auparavant. Depuis cette année, Albioma doit exclusivement utiliser de la biomasse comme matière première et il a décidé d’importer des pellets de bois d’Amérique par bateaux. Notre bagasse est une biomasse produite localement. Au vu de la hausse importante des coûts du fret et des matières premières, Albioma a tout intérêt à voir la production de biomasse locale augmenter. C’est aussi une responsabilité sociale de cette entreprise qui est également celle de l’Etat : contribuer à l’emploi local.
Les discussions avec Albioma et l’État ont donné une première avancée : la prise en compte de la richesse en fibres dans le prix de la canne avec une bonification possible de 3 euros par tonne soit une recette bagasse de 17,50 euros par tonne de canne livrée, payée par l’État via la CRE.
La prise en compte de la richesse en fibres doit mettre fin à une injustice. Jusqu’à présent, les planteurs qui livraient des chargements riches en fibre étaient pénalisés pour cause d’une richesse en sucre plus faible. Cela revenait à pénaliser celui qui produisait plus de matière première, source de plus de profits pour les industriels. De plus, Albioma veut soutenir financièrement la production de cannes en injectant un montant qui reste à définir dans la filière, ce qui ne peut qu’être positif pour le revenu des planteurs.
Autre point important : nous avons aussi obtenu de l’État l’assurance d’une clause de revoyure pour l’aide annuelle de 14 millions d’euros versée par l’État jusqu’en 2027. Je rappelle que cette aide est le résultat du front uni des syndicats, des députés, des sénateurs, de la Région, du Département et des maires. Si le contexte économique continue de se dégrader, le montant de cette aide pourra être réévalué.
Enfin, les rhumiers disent vouloir payer plus cher la mélasse de nos cannes achetée à Tereos au-delà d’un seuil de 60.000 tonnes par an, 10 euros par tonne, ce qui doit bénéficier au revenu des planteurs.

Au bout d’une semaine de discussions, des tracteurs sont toujours devant la Préfecture, pourquoi n’y a-t-il pas eu d’accord pour le moment ?

Jean-Michel Moutama : Je réponds à cette question par une autre : Tereos veut-il l’augmentation de la production de cannes, et donc du revenu des planteurs, ou reste-t-il à La Réunion pour toucher les subventions ?
En effet, l’industriel demandait un filet de sécurité pour garantir le prix d’achat des cannes. L’État lui a donné cette garantie. Non seulement Tereos va continuer à toucher jusqu’en 2027 28 millions d’euros de l’État par an au titre de la compensation de la fin du quota sucrier qui date de 2017, mais en plus l’État s’est également engagé à revoir cette somme à la hausse en fonction de l’évolution du contexte économique. Les conditions sont donc réunies pour que Tereos augmente le prix qu’il paye pour acheter nos cannes.
Mais je constate aussi que tous les ans au mois d’octobre, Tereos reçoit un chèque de 44 millions d’euros de l’État quelle que soit la quantité de cannes traitées dans ses usines. Même si la production de cannes diminue, Tereos touche cette somme. Les planteurs sont loin de bénéficier d’un tel traitement de faveur, car le montant du soutien public dépend de notre production.

« Tereos doit payer notre canne au juste prix »

Quand les distilleries proposent une augmentation de 10 euros par tonne de mélasse au-delà de 60.000 tonnes achetées, Tereos veut s’accaparer la moitié de cette somme alors qu’il perçoit déjà l’argent des rhumiers au titre de la vente de mélasse. Cette OPA sur un gain que pourrait obtenir les planteurs interroge, car nous avons besoin de plus d’argent pour produire plus.
De plus, Tereos a l’exclusivité sur 200 ans de recherches variétales car il détient eR’Canne. Quand des experts du monde entier sont venus à La Réunion au congrès de l’ISSCT en 2018, Robert Gilbert, président du Comité technique de l’ISSCT et Professeur au département d’agronomie de l’Université de Floride avait notamment déclaré : « La Réunion a une excellente réputation ailleurs dans le monde. Les scientifiques réunionnais sont reconnus, et La Réunion est vue comme une zone d’innovation. C’est une petite île qui comporte une importante diversité de terrains. Elle regroupe des facteurs intéressants pour la création variétale et les pratiques de gestion ». La canne, c’est l’or vert de La Réunion.
Tereos doit faire évoluer sa position et payer notre canne au juste prix. Nous n’allons rien lâcher et continuer à lutter jusqu’à obtenir satisfaction.
Enfin, je rappelle qu’une alternative à Tereos est possible. Car nous planteurs, sommes capables de prendre notre avenir en main. Cela fait plus d’un siècle qu’il y a de la canne à La Réunion. Si Tereos n’arrive pas à assurer l’avenir de la canne à La Réunion, qu’il nous donne les clés. Car avec les aides que Tereos touche de l’État et de l’Europe, nous pouvons monter une coopérative pour diriger les usines sucrières. Je rappelle que Tereos est à la base une coopérative de plusieurs milliers de betteraviers, mais qu’aucun planteur de cannes ne fait partie de cette coopérative dont sa filiale à La Réunion refuse de faire la transparence sur tous ses profits.

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