Françoise Vergès et les débats à l’Assemblée constituante - 3 -

La perpétuation de l’inégalité après 1946 est très vite dénoncée

18 avril 2006

Voici la 3ème partie de l’introduction du livre paru en 1996 - à l’occasion du 50ème anniversaire de la loi du 19 mars 1946 - et contenant les textes des débats ayant conduit au vote de cette loi. Dans cette introduction, l’historienne réunionnaise Françoise Vergès a présenté le contexte et la portée de cet événement historique.
Tandis que l’abolition du statut colonial était fêtée à La Réunion comme une grande victoire du principe d’égalité, il n’en était pas de même dans les autres colonies. Et qu’en sera-t-il concrètement par la suite à La Réunion même ? Les intertitres sont de “Témoignages”.

C’est bien à ce principe d’égalité que la France va résister.
Ainsi, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 créant l’Union française affirme que "la France forme avec les pays et Territoires d’outre-mer une union librement consentie, dont tous les membres jouissent de tous les droits et libertés essentiels de la personne humaine" (1) ; mais parmi ces "égaux", la France garde le premier rang.
Car, "fidèle à sa mission traditionnelle, elle guidera les peuples pour lesquels elle a pris la responsabilité, vers la liberté de se gouverner et vers l’administration démocratique de leurs propres affaires" (2).
Conçue en de tels termes, l’union entre la métropole et ses anciennes colonies ne pouvait engendrer que des désaccords. La possibilité d’une réconciliation entre les anciens dominateurs et les dominés, sans que les injustices et discriminations du passé soient discutées, se révèle une fiction. Car les esclaves, les marrons, les vagabonds ne sont pas conviés à venir témoigner dans l’enceinte de la réconciliation ; et pourtant leurs fantômes hantent les lieux.

Protestation de Raymond Vergès dès 1948...

Très vite, ceux-là mêmes qui avaient défendu le principe d’assimilation et d’union vont dénoncer la perpétuation de l’inégalité. Raymond Vergès s’élève en 1948 contre le fait que les salaires des travailleurs ne leur permettent toujours pas de survivre.
"À l’heure actuelle", dit-il, "le travailleur de La Réunion touche 1.200 francs par mois et le kilo de riz coûte 25 francs. Le résultat de cette politique de salaire, on le trouve au bulletin du 28 mars de l’état-civil de Saint-Denis qui annonce 7 naissances et 15 décès, dont 11 enfants" (3).
Raymond Vergès encore, le 31 juillet 1948 : "Nos populations détestent qu’on leur mente et la pratique trop constante de pareilles méthodes ne répond nullement aux sentiments d’amour et de confiance qu’elles ont jusqu’ici témoignés à la France".
Il parle de la situation des fonctionnaires, citant l’exemple d’un "fonctionnaire écrasé par les impôts, père de sept enfants, avec sa mère à charge et qui n’aurait que 1.850 francs par mois pour vivre".

... contre la prolongation du régime colonial

Raymond Vergès demande ce qui a changé, ce qu’on a introduit de bienfaisant. Il dénonce ce qu’il voit comme une brimade, une punition de la population réunionnaise, et dit :
"Quand on parle du sabotage de l’assimilation, vous protestez avec véhémence. Y a-t-il pourtant un autre mot pour qualifier ce qui se passe ? Je n’en vois pas et vous non plus.
Mais nous l’aurons, l’assimilation, non pas celle que vous nous appliquez, mais celle qui doit nous apporter des avantages substantiels, celle que nos populations sauront imposer malgré vos sympathies pour la poignée d’esclavagistes qui s’acharnent, par les plus ignobles moyens, à prolonger le régime colonial si favorable à l’oppression".

Protestation également de Léon de Lépervanche

Dans la même séance, Léon de Lépervanche s’écrie :
"Quand vous imposez à des travailleurs un salaire de 100 francs par jour, soit l’équivalent de 4 kilogrammes de pain en tout et pour tout, et ce, sans sursalaire familial, vous les mettez dans l’impossibilité de se vêtir décemment et de se nourrir convenablement".
Dans l’île, des groupes résistent à l’application de la loi du 19 mars. Les patrons refusent d’appliquer les lois sociales. Les grands planteurs maintiennent leur loi.
Ce n’est que lentement - et souvent à cause de luttes impulsées par les communistes réunionnais - que les lois sociales, dont l’application était au principe de la loi du 19 mars, seront appliquées dans l’île. Allocations familiales, campagnes de santé publique, assainissement des bidonvilles, raccordement à l’eau et à l’électricité, cantine pour tous les enfants ne seront pas automatiquement étendus à La Réunion.

(à suivre)

Françoise Vergès

(1) - Hubert Deschamps, “The French Union History, Institutions Economy, Countries and Peoples. Social and Political Changes”. Paris - Éditions Berger-Levrault - 1956.
(2) - Ibid. p. 92.
(3) - Assemblée Nationale, séance du 20 janvier 1948.


Plus que jamais, nous nous rappelons les propos de Laurent à l’Assemblée nationale : "Nou lé pa plus. Nou lé pa moin. Rèspèk a nou".

Extrait de “Nou lé pa plus. Nou lé pa moin. Rèspèk a nou :
Amplifions l’Appel pour que le 19 mars soit une date commémorative”, déclaration adoptée à l’unanimité par 1.200 vétérans réunis le 12 février à Sainte-Suzanne.


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