Les raisons de la fondation de “Témoignages” par le Dr Raymond Vergès - 7 -

Le sous-équipement de la colonie

13 mai 2004

Pour continuer la série sur La Réunion à l’époque coloniale, l’historien Eugène Rousse évoque le problème du sous-équipement que connaît notre pays avant d’obtenir le statut de département. Routes rares et « grossièrement bitumées », port difficile d’accès... Problème que les colonies environnantes, telles Madagascar ou Maurice, ne rencontraient pas à l’époque.

Au moment de son accession au statut de département français, La Réunion souffre d’un dramatique sous-équipement qu’on ne constate pas à Maurice, colonie anglaise, ni même à Madagascar, colonie française depuis seulement un demi-siècle.
L’île manque - nous l’avons vu plus dans les éditions précédentes - d’équipements scolaires, sportifs, sanitaires, de réseaux d’adductions d’eau. Pour compléter ce sombre tableau, ajoutons que les déplacements à travers La Réunion sont très difficiles en raison de l’état déplorable du réseau de communications.
En 1945, sur les 232 kilomètres de route littorale, seuls 44 kilomètres sont grossièrement bitumés, dont les 8 premiers kilomètres de la route de La Montagne. De plus, cette route qui permet la liaison Nord-Sud est dangereuse parce que trop étroite et dépourvue de parapets dans une zone où elle franchit des torrents aux gorges profondes. Il est bon de préciser que cette route est peu fréquentée, le parc automobile ne comptant en 1946 que 1.188 véhicules contre 6.496 en 1958 et 264.690 en 2002.

La mort programmée du chemin de fer

Quant au réseau ferroviaire long de 127 kilomètres, un demi-siècle seulement après sa mise en service, son exploitation est loin de satisfaire ses utilisateurs. Peu avant la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses voix s’élèvent pour exiger la rapide modernisation de la totalité du matériel ferroviaire.
Cette modernisation exige notamment le remplacement des rails de 21 kilogrammes au mètre linéaire par des rails de 28 kilogrammes ainsi que le renouvellement du parc de voitures destinées au transport des voyageurs. Cette modernisation s’impose d’autant plus que l’essentiel du trafic voyageurs et marchandises se fait par rail.
Plus préoccupés de satisfaire les compagnies de transport routier et les usiniers, les décideurs de l’époque, après avoir déploré que le matériel du CFR soit "trop usagé", que "le trafic voyageurs ne paie pas" et que les "694 wagons de marchandises sont de trop faible capacité", concluent à la nécessité de "fermer la voie ferrée". Le déficit du chemin de fer (130.000 francs en 1919 ; 2,4 millions en 1939) était devenu selon eux insupportable. La fermeture du chemin de fer deviendra effective immédiatement après l’ouverture de la route dite "en corniche" en 1963.

Un port d’accès difficile

Après l’ouverture du Canal de Suez en septembre1869, le creusement d’un port à La Réunion devient une nécessité absolue.
Ce port creusé sur le territoire de la commune de Saint-Paul, au lieu dit "La Pointe" - où sera construite la ville du Port - est inauguré avec faste le 14 février 1886. Mais faute d’être protégé par une jetée suffisamment longue et robuste, le chenal est très fréquemment obstrué par des matériaux transportés par des courants marins. Ce chenal, qui doit être presque constamment dragué, réserve assez souvent de très désagréables surprises.
Ainsi, "La Havraise", un petit cargo de 117 mètres de long sur 14,50 mètres de large, entré dans le port le 31 mars 1926, y est resté bloqué jusqu’au 23 décembre de la même année. Son voyage le Havre-La Réunion, prévu pour durer 4 mois, a duré 16 mois.
Aussi, la plupart des commandants de bateaux (des paquebots en particulier) préfèrent-ils opérer dans la rade de Saint-Paul. Ce qui allonge considérablement la durée d’embarquement et de débarquement des marchandises, dont le coût subit ipso facto une hausse importante.
Il me faut rappeler que le blocus des côtes de la colonie par la flotte britannique à partir du 23 août 1940 entraîne une chute de l’activité portuaire. Le nombre d’entrées de bateau au port de la Pointe des Galets, qui était de 131 en 1939, tombe à 23 en 1941, à 5 pour l’année 1942 et à 56 en 1946. Le ralentissement très sensible de l’activité portuaire a pour conséquence l’asphyxie économique de l’île, qui avait pris la fâcheuse habitude de tout importer et de donner la priorité des priorités à la canne, au détriment des cultures vivrières.
Au cours de la décennie 1940, magasins et boutiques se vident des produits de première nécessité. Le tickets de rationnement ne seront supprimés que le 1er avril 1950.
La proximité de Madagascar nous évite le pire après le ralliement de la colonie à la France libre en novembre 1942. La Grande Île pouvant nous ravitailler - chichement il est vrai - en riz, en maïs, viande, fruits... En 1944, nos importations de riz se sont élevées à 1.650 tonnes contre 8.779 tonnes en 1939. Les difficultés auxquelles La Réunion se heurte pour son approvisionnement sont dues au fait que les deux tiers de la flotte commerciale française ont été détruits pendant la guerre.
Il n’est pas inintéressant de comparer le trafic portuaire de l’année 1939 à celui de 2001, en ayant à l’esprit que la population a triplé entre ces deux dates :

o 1939 :

- marchandises embarquées : 74.338 tonnes

- marchandises débarquées : 103.600 tonnes

o 2001 :

- marchandises embarquées : 473.000 tonnes

- marchandises débarquées : 2.891.000 tonnes

Si l’on ajoute au tonnage débarqué au port de la Pointe des Galets celui débarqué à Gillot (17.984 tonnes), on atteint 2.908.984 tonnes. Soit 28 fois plus qu’en 1939.
Les chiffres ci-dessus permettent de mesurer la croissance de la dépendance économique de notre île en un peu plus d’un demi-siècle.

Le téléphone pour une infime minorité

Alors qu’aujourd’hui plus de 90% des foyers réunionnais disposent du téléphone, en 1939, le nombre d’abonnés au téléphone est inférieur à 1.500. Généralement sont raccordés au réseau les commerçants, les mairies, les personnels de santé, les hauts fonctionnaires, les industriels et les personnes très aisées. La quasi-totalité des écoles publiques sont privées de ce moyen de communication qui, au demeurant, n’est pas très commode.
L’abonné doit d’abord passer par une opératrice qu’il peut joindre au central téléphonique, s’il réside à Saint-Denis ou dans les bureaux des PTT de toute l’île. Il doit ensuite attendre pendant un temps indéterminé que l’opératrice le rappelle pour lui signaler que la liaison est établie avec son correspondant. Les non abonnés peuvent se présenter dans les bureaux des PTT et attendre qu’une opératrice soit disponible pour les mettre en relation avec la personne appelée. Ils peuvent aussi avoir recours à des "téléphones publics" installés chez un tout petit nombre de particuliers agréés par les PTT. Quant aux appels de nuit, ils sont si difficiles que beaucoup préfèrent y renoncer. Il faudra attendre 1953 pour communiquer téléphoniquement avec la France hexagonale. Et ce, au prix d’une longue attente.
Le téléphone étant peu répandu, le recours au télégramme est très fréquent. Mais c’est aussi un moyen de communication assez lent, le porteur de télégramme n’étant pas motorisé et les distances à parcourir étant souvent très longues.
Il faut savoir que le téléphone est un moyen de communication qui ne permet de joindre que des personnes résidant sur le territoire de La Réunion. Les liaisons avec le reste du monde s’effectuent par câble et avec utilisation du morse. La première liaison avec la France via Tamatave a eu lieu en octobre 1906. Le câble posé entre Maurice et La Réunion en 1875 ne semble pas avoir joué son rôle. L’utilisation du câble constitue un événement dont on mesure l’importance lorsque l’on sait qu’avant 1906 les nouvelles de France nous parvenaient par voie maritime. Durée du voyage Marseille-La Réunion : en moyenne quatre semaines par paquebot.

(À suivre)

Eugène Rousse


Expo sur “Témoignages” à Art’senik jusqu’au 22 mai

À l’occasion de ses 60 ans, le journal met à la disposition du public, à Art’senik (Ravine des Sables à Saint-Leu) et ce jusqu’au samedi 22 mai, six panneaux retraçant les six décennies d’existence de “Témoignages”. Une exposition choc qui en long sur les 60 ans de vie de “Témoignages”.
Horaires de l’exposition : du mardi au samedi, de 9 heures à 17 heures. Fermé les dimanche et lundi. Renseignement : 0262 34 12 56.

Raymond Vergès

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