Le fond et la forme

29 juin 2011, par Geoffroy Géraud-Legros

Un peu interloqué, le confrère. Lors de l’interview donnée hier par les membres de "Lantant pou fé respèk nout droi", réunis par Patrice Treuthardt et Laurita Alendroit dans les locaux de Lofis la lang Kréol, l’un des journalistes présents n’a pu s’empêcher de faire part de son étonnement, face à la virulence des attaques. « Je viens de Bretagne, et il n’est pas rare de voir des noms de villes en breton sous les panneaux routiers ». « Même à Nantes, où l’on n’a jamais parlé breton », ajoute-t-il malicieusement, avant d’avouer « ne pas comprendre ce qui pose problème ici, avec la langue ».
Bonne question… dont la réponse est assurément politique. Rien de plus politique, en effet, dans l’idée selon laquelle langue et culture créoles seraient vouées à la seule oralité, au folklore et aux seuls registres du « kasaz le kui » et de la ritournelle. Historiquement, cette idéologie accompagne et soutient le courant qui, dans notre île, s’est abrité derrière différentes appellations, telle celle de « nationaux » - ce qui d’ailleurs ne veut pas dire grand-chose - pour continuer la colonisation par d’autres moyens.
Arrachée au statut colonial par la loi du 19 mars 1946, notre île aurait dû accéder en janvier de l’année suivante à l’égalité des droits. À la date prévue, et au fur et à mesure que passaient les années, les Réunionnais ne virent rien venir. Ce qui vint, en revanche, ce fut l’« assimilation », c’est-à-dire l’injonction d’adopter, partout, les schémas, pertinents ou non, élaborés et appliqués dans l’hexagone qui, pour Paris, demeurait la « Métropole ».
Face à ce centralisme renouvelé, favorable aux seuls intérêts issus de la société de plantation et aux monopoles, montait la demande, formulée par des Réunionnais, de définir eux-mêmes les solutions adaptées à leur réalité. Un courant qui fut vivement réprimé, dans un contexte marqué par les guerres coloniales françaises.
Attisée par l’État et ses représentants, soutenue par une fraude électorale massive et de puissantes incitations à l’exil pour les Réunionnais pauvres, cette réaction postcoloniale eut naturellement sa déclinaison culturelle. Ce fut, en 1965 (!) la célébration en grande pompe de la colonisation de l’île. Ce furent les interdits durables sur les grands auteurs réunionnais tels qu’Auguste Lacaussade et Leconte de Lisle, dont l’anti-esclavagisme apparaissait suspect aux yeux des censeurs postcoloniaux. Ce fut, surtout, la guerre menée à toute la culture issue des périodes de l’engagisme et de l’esclavage et, bien entendu, contre la langue maternelle des Réunionnais.
Parallèlement à la violence scolaire, sociale et même policière, la répression culturelle s’employa aussi à allumer des contrefeux, en favorisant l’émergence d’une culture lissée, polie, naïve et souriante, transposition en robes à fleurs des clichés les plus éculés du colonialisme tendance « doudou » de la France de l’entre-deux guerre. Du séga, musique populaire, on s’efforça de faire une ritournelle visant au délassement des touristes de passage ou non, dégradant un art créole en folklore abêti d’un terroir imaginaire. On s’évertua encore – voir les chansons de Mme Farreyrol - à faire du maloya festif et lascif, et surtout blanchi de tout contenu mémoriel, spirituel ou revendicatif. Dans cette offensive démagogique, le créole se voyait assigner la seule place de patois comique, destiné à faire la fête, raconter des histoires salaces et – le délice des oreilles coloniales - entendre les Réunionnais se moucater eux-mêmes.
Rien de surprenant, dans la résurgence contemporaine de cette conception réductrice de l’identité réunionnaise : tout d’abord, parce que l’on retrouve les mêmes aux commandes ; les Ladauge, les Farreyrol et autres. Parlez-leur de culture : ils ne sortiront pas leur revolver, mais vous parleront folklore, doudou et Cie, comme au bon vieux temps des colonies où ils sont restés figés. Surtout, ils ont à la Région un « jeune » qui lui, sortira le carnet de chèques, et tapera allègrement à la radio sur sa propre langue et sa propre culture. Un jeune pour la forme, qui est, sur le fond, une antiquité idéologique.

G.G.-L.

Didier RobertJacqueline Farreyrol

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Messages

  • Pourquoi l’ancienne majorité n’a t elle pas signé la convention état région au sujet de la valorisation de la langue créole pendant son mandat ?? Pourtant elle était prête ? il ne manquait plus que la signature ? Pourquoi l’ancienne région n a t elle pas donné plus d’argent que cela pour la langue créole ?
    pourquoi dans la MCUR, n’y avait il pas au moins une salle sur l’histoire de la langue créole ? il n’y avait rien de prévu là dessus ???
    Ce sont des questions que je me pose ? Mais je sais que vous n’allez pas publier ma réponse ???
    ni artrouv
    Marie , enseignante de créole.


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