Toussaint Louverture, le Spartacus noir, grande figure de l’émancipation

12 février 2022, par David Gauvin

Toussaint Louverture fut le premier des grands libérateurs noirs de l’histoire des colonies. Officier de l’armée républicaine française à Saint-Domingue, porte-parole de la cause noire, leader messianique, son aura et ses luttes ont influencé la plupart des mouvements émancipateurs d’Amérique Latine, les grands militants noirs comme Marcus Garvey, le mouvement abolitionniste américain et jusqu’à la lutte pour les Droits Civiques. Influencé par les Lumières françaises mais aussi par le monde créole, par la religion catholique et par le vaudou, il apparaît comme un précurseur des aspects les plus intéressants du multiculturalisme.

« C’est Joséphine qui me l’a fait faire, c’est ma plus grosse faute comme administrateur ; j’aurais dû traiter avec Toussaint Louverture et le nommer vice-roi à Saint-Domingue. » Ainsi s’exprime l’empereur déchu Napoléon 1er, en exil à Sainte-Hélène. L’hommage rétrospectif à l’homme que Bonaparte avait fait déporter au fort de Joux (dans le Doubs), où il est mort, est d’autant plus significatif qu’avant de décider une expédition contre Saint-Domingue en 1801, celui qui était alors le Premier consul Napoléon Bonaparte disait : « Si j’eusse été à la Martinique, j’aurais été pour les Anglais, parce qu’avant tout il faut sauver sa vie. Je suis pour les Blancs, parce que je suis blanc, je n’ai pas d’autre raison, et celle-là est la bonne. Comment a-t-on pu accorder la liberté à des Africains, à des hommes qui n’avaient aucune civilisation, qui ne savaient pas seulement ce qu’était une colonie, ce qu’était la France ? Croyez-vous que si la majorité de la Convention avait su ce qu’elle faisait, et connu les colonies, elle eût donné la liberté aux Noirs ? Non sans doute. »

Né au début des années 1740 dans la colonie française de Saint-Domingue (future Haïti), le jeune Toussaint est esclave dans la plantation de Bréda. Affranchi vers 1776, il prend la tête d’une exploitation de café d’une dizaine d’esclaves quelques années plus tard. Malgré sa couleur de peau et son passé d’esclave, Toussaint de Bréda parvient à gravir l’échelle sociale à Saint-Domingue. En août 1791, la cérémonie vaudou du Bois-Caïman signe le début de la révolte des esclaves noirs pour leur liberté. Toussaint rejoint alors les insurgés dans leur combat contre les colons. S’inspirant de la stratégie militaire pratiquée en Europe et voyant ses plans couronnés de succès, il prend alors le nom de Louverture. Après avoir bénéficié au début du conflit de l’aide des Espagnols, Toussaint Louverture décide de rester fidèle à la France. Nommé général de brigade en 1795, lieutenant-gouverneur de Saint-Domingue en 1796 puis commandant en chef de l’armée en 1797, il poursuit son ascension politique. Il obtient la reddition des Espagnols, puis des Anglais, tout en mettant un terme aux luttes intestines pour le contrôle de l’île. L’influence de Toussaint Louverture devient néanmoins de plus en plus problématique aux yeux de la métropole française. En 1801, une expédition est mise en place pour mettre un terme à ses agissements et reconquérir l’île. Vaincu et arrêté en 1802, Toussaint Louverture est déporté, puis emprisonné en France, où il s’éteint en 1803 vers l’âge de 60 ans. Il est encore aujourd’hui considéré par beaucoup comme un symbole de la Révolution haïtienne et de la première abolition de l’esclavage dans les colonies françaises. Il ne vivra pas assez longtemps pour voir son île natale obtenir son indépendance en 1804 grâce à l’un de ses lieutenants, Jean-Jacques Dessalines.

Le destin de Toussaint est frappé du sceau de l’exception très tôt. Adolescent, il se bat avec un jeune homme blanc de deux ans son aîné. Quelques années plus tard, devenu cocher de la plantation grâce à ses qualités de cavalier hors pair, il tient tête au gérant. Ces actes peuvent lui valoir la peine de mort, en ces temps où le Code noir dicte les lois de l’esclavage. Cette bravoure, il la démontre plus tard sur les champs de bataille. Souvent en infériorité numérique face à des armées mieux équipées, il compense par une « adaptation créative » qui en fait un maître tacticien. Il est habité par une vision politique, celle d’un républicain convaincu, et place au cœur de ses engagements la fraternité. Même si, pour y parvenir, il doit d’abord servir aux ordres de l’Espagne, en guerre contre la France après l’exécution de Louis XVI en 1793. Ainsi, déclare-t-il, plein de panache : « Je suis Toussaint Louverture, mon nom s’est peut-être fait découvrir jusqu’à vous. J’ai entrepris la vengeance de ma race, et je veux que la liberté et l’égalité règnent à Saint-Domingue. » Plus que des mots, il s’agit d’une vraie profession de foi, qu’il applique sur les champs de bataille, où il répugne à la cruauté gratuite et punit sévèrement les pillages commis par ses troupes, composées de Blancs, de Noirs, de métis. Au contraire d’autres chefs hostiles aux Blancs, dont Jean-Jacques Dessalines, qui proclamera le nouvel État d’Haïti en 1804. Pour Louverture, « l’intégrité et la compétence sont des considérations plus importantes que l’idéologie ou la race ».

Dans la Lettre originale des chefs nègres révoltés de 1792, signée Jean-François, Biassou et Belair, l’historien, Sudhir Hazareesingh, voit la main cachée de Toussaint Louverture. « La Lettre, appel explicite à fonder une communauté de citoyens égaux, est notre premier aperçu de la vision d’une Saint-Domingue multiraciale développée plus tard par Toussaint. » Ce qui fait dire à l’auteur : « Sa pensée était en avance sur son entourage et ses contemporains : sa conception de la fraternité était beaucoup plus radicale que celle de la Révolution française, car elle incorpore pleinement l’égalité raciale. Et sa vision de l’autonomie coloniale ne sera comprise par la France qu’au milieu du XXe siècle. » Si son action politique est si difficilement lisible, c’est parce qu’il a dû louvoyer pour l’imposer. Renversant des alliances, trahissant parfois des secrets militaires, il sert avant tout ce qu’il considère comme les intérêts suprêmes de Saint-Domingue : « Il poursuivrait implacablement l’idéal d’une Saint-Domingue qui resterait partie intégrante de la République française, tout en étant suffisamment libre pour défendre ses intérêts spécifiques – même si ces intérêts allaient à l’encontre des objectifs politiques et des alliances diplomatiques avec la France. »

Il croit encore défendre « son pays », comme il appelle Saint-Domingue, en proclamant la Constitution de 1801. Même si Toussaint Louverture réaffirme son attachement à la République française, Napoléon y voit une provocation et envoie sur l’île son beau-frère, le général Leclerc, à la tête d’une armée de 20 000 hommes. Un sentiment de toute-puissance a non seulement conduit Toussaint Louverture à faire ce pas de trop, mais aussi à dériver vers un exercice du pouvoir autoritaire à la fin de sa vie. Bannissant le culte vaudou, il va jusqu’à interdire les divorces et à exiger des militaires qu’ils lui demandent son autorisation pour se marier ! Symbole le plus cruel de ce glissement : il y a plus de cultivateurs qui fuient les plantations en 1800 qu’en 1791, avant l’abolition de l’esclavage, à cause des mauvais traitements qui leur sont infligés. Selon Toussaint, « il faut malgré elle contraindre cette classe d’homme à être utile à la société ». Obsédé par la reprise économique, il s’aliène le peuple.

« En me renversant, on n’a abattu à Saint-Domingue que le tronc de l’arbre de la liberté, mais il repoussera car ses racines sont profondes et nombreuses » Toussaint Louverture

Nou artrouv’

David Gauvin

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