Une tribune libre du Docteur Jean-François Reverzy

La mauvaise compagnie de la nouvelle gouvernance dans les hôpitaux de France et de La Réunion

24 avril 2004

Le scandale est devant nous. Voilà un régime politique, celui de Jacques Chirac et de Jean-Pierre Raffarin, qui est censé représenter la France. Derrière un discours apparemment “social” de solidarité et de partage, ce régime est surtout dominé par l’asservissement d’autrui au profit des oligarchies financières...
C’est un discours mensonger sur des réformes supposées apporter évolution et progrès mais qui méprisent l’héritage républicain et sont - derrière le gargarisme des mots comme “gouvernance” - régressives et produisant un retour en arrière.
Les élections régionales et cantonales viennent de condamner ce régime et ses représentants. À une quasi-unanimité. Mais ceux-ci, comme des parasites - morpions ou poux, incrustés sur la peau de la nation - s’accrochent, car leurs jours sont comptés.
À La Réunion, une terre fertile qui fut autrefois un réservoir électoral de la droite coloniale et au peuple supposé - chez ces “beaux messieurs” - débile, docile et sans résistance, des mesures sont imposées d’en haut, sans consultation populaire ni débat : j’ai nommé la réforme hospitalière et de santé publique nommée par l’ex ministre Jean-François Mattéi : “la nouvelle gouvernance hospitalière”.

La santé et son coût, la qualité et l’accessibilité au soin, leur économie sont un enjeu fondamental des gouvernements. Et le déficit de l’assurance maladie une véritable obsession de ministre en président.
La part des dépenses hospitalières, majeures, incite à des réformes qui en réduisent les coûts, en limitent l’accessibilité aux usagers, créent des vitesses et des barrières ou l’assortissent de contraintes économiques.
Ce projet a été élaboré depuis plusieurs années par les technocrates du ministère de la Santé et de la Direction des hôpitaux, des Gérard Vincent, G. Couty, de Kervasdoué... Ils se sont appuyés sur des rapports demandés à des praticiens souvent de bonne volonté et soucieux de réformes positives mais dont les conclusions ont été dénaturées.
Comme celles du Dr Antoine Perrin, médecin ORL à l’hôpital du Mans. Celui-ci a été successivement président de la commission médicale de ce dernier établissement et président de l’Association nationale des présidents de CME. Ces instances, proches du pouvoir central, comme le Bureau de la Fédération hospitalière de France, sont des creusets traditionnels où s’élaborent les politiques nationales de la santé.
Nous ne sommes pas étonnés par une singulière coïncidence : la nomination du Dr Perrin à la direction de l’Agence régionale de l’hospitalisation à La Réunion (ce qui est rare pour un médecin), une instance qui gère la santé publique de l’île et - dans les mois qui suivent - l’engagement de trois hôpitaux réunionnais dans une "expérimentation de la nouvelle gouvernance hospitalière". Inquiets pour des lendemains politiques qui s’annoncent assez sombres pour leurs projets, ces promoteurs ont fait passer une circulaire dite “d’expérimentation” du programme pour 100 hôpitaux français. Et quelle aubaine : la belle île de La Réunion s’y rallie en totalité...!
Cet engagement de trois hôpitaux - CHD de Bellepierre, GHSR de Saint-Pierre et l’EPMSR à Saint-Paul - s’est opéré sans consultation préalable ni des médecins, ni des personnels acteurs majoritaires des hôpitaux et encore moins des usagers des soins soit de la population réunionnaise et de ses élus. Elle a été le fait des directeurs et des présidents de CME (commission médicale d’établissement), censés représentés leurs collègues. À noter que tout ce beau monde se retrouvait auparavant à la Conférence des présidents de CME...

Soigner moins bien, au moindre coût : un modèle commercial importé des U.S.A.

La médecine n’est pas un commerce ; soigner la souffrance de l’autre exclut toute arrière-pensée de rentabilité et de concurrence. Si la médecine libérale, comme la psychanalyse, s’accompagne d’un échange d’argent, c’est bien pour établir sans souci de profit - outre une rétribution légitime - un lien humain entre le thérapeute et son client.
Le modèle de “la nouvelle gouvernance hospitalière” s’inscrit par contre dans une logique administrative poursuivie depuis plus de cinquante ans par la Direction des hôpitaux et à l’École nationale de santé publique de Rennes. Il repose sur une philosophie politique facile à comprendre : le modèle est économique et commercial, vient d’Amérique du Nord. L’hôpital n’est plus un espace d’accueil et de soins, mais devient une machine-usine à guérir qui produit et vend des objets de santé concurrentiels.
La logique du marketing et des grandes surfaces est la même que celle de l’administration hospitalière : label qualité, accréditation des surfaces d’offre de vente, évaluation de la rentabilité commerciale, évaluation et autocontrôle de tous les acteurs du système. Ni le médecin ni l’infirmier ne sont plus de véritables médecins ni de véritables soignants : leur fonction doit être d’abord celle d’un opérateur d’actes et un évaluateur. Leur outil n’est plus le stéthoscope mais l’écran de l’ordinateur.
La relation thérapeutique fondée sur la parole, l’écoute, le partage et la compassion est exclue de ce champ : il faut produire vite et bien des actes, les évaluer, transmettre cette évaluation aux tiroirs-caisses et passer au suivant. À la limite, le dialogue n’est plus nécessaire dans cette robotisation de l’humain. Les médecins deviennent des chefs de rayon, dépendant d’un pôle (comme les produits d’hygiène, la boucherie, l’alimentaire, le bricolage etc... dans une grande surface commerciale) et par contre l’administrateur qui contrôle les opérations devient omnipotent : il choisit caissières, chefs de rayon, commerciaux etc.
Comme la grande surface, l’hôpital voit ses emplois et ses moyens tributaires de sa production commerciale : cela se nomme, dans la clique gouvernementaliste, “tarification à l’activité”...
Voilà ce qui vous attend, Réunionnais et Français, futurs patients, souffrant de maladies somatiques, d’accidents, de maladies mentales, de cette maladie naturelle qu’est la grossesse ou la mort...! Une médecine dénaturée, des hôpitaux transformés en machines inhumaines, des principes contraires à l’éthique médicale la plus élémentaire, le tout dans la pénurie générale des moyens institutionnels (gel des crédits, absence de création de postes, alors que les services deviennent des déserts par manque de personnel) et la privatisation de la Sécurité sociale...
On appelle ça la “nouvelle gouvernance”. Le rôle des nouveaux gouverneurs - directeurs - et de leurs kapos et kollabos, futurs chefs de pôle, est au centre du dispositif et non les malades...

Le scandale de l’amendement Accoyer : thérapeutes assermentés et réfractaires

La logique gouvernementale a sévi avec la même logique dans un domaine voisin. Élu UMP de Savoie, M. Accoyer, proposé récemment à la présidence du groupe majoritaire de l’Assemblée nationale, dans la même logique, a fait voter un texte législatif visant à mettre en coupe réglée l’exercice de la psychanalyse et des psychothérapies : les praticiens devront désormais demander le blanc-seing de l’État qui contrôlera leur activité...
Ce diktat, accompagné de celui d’évaluation, a déclenché une tempête légitime dans le milieu professionnel. Le combat ne fait que commencer, malgré l’attitude inacceptable de groupements analytiques qui, comme certains médecins, ont “collaboré”. Le front du refus, coordonné par René Major et dont je suis signataire, et l’École de la Cause freudienne s’opposent à cette position de “thérapeute assermenté”. Contrat singulier entre deux êtres humains, deux sujets et deux inconscients, l’analyse ou la thérapie ne saurait se pratiquer sous le contrôle de l’État...

La mauvaise compagnie des nouveaux gouverneurs

La Réunion a été depuis ses origines un espace d’utopie : une terre supposée paradisiaque et déserte où des personnes venues d’occident ont voulu réaliser une société idéale. Deux modèles s’y opposent, quelquefois aussi se conjuguent paradoxalement.
En premier lieu, le modèle du colonialisme marchand et esclavagiste. Au nom du Roi incarnant déjà l’État national et de ses grands commis, il investit l’île-objet pour en tirer un profit maximum. Peu lui importent les humains : ce qui compte c’est ce qu’ils rapportent aux actionnaires de la Compagnie. C’est là le modèle de Colbert - Code noir en prime -, de Mahé de La bourdonnais et de la Compagnie des Indes.
L’autre modèle est le modèle de l’utopie républicaine ; évangélique avec le baron Du Quesne, elle se laïcise ensuite ; l’île devient un sanctuaire idéal où se répètent les grandes tragédies de l’Histoire : Babel, Pharaon et la servitude, le phalanstère harmonieux des personnes et des ethnies réconciliées dans les institutions républicaines... Elle a ses héros, de Sarda Garriga à Raymond Vergès.
Ces deux modèles agissent dans l’inconscient collectif, non seulement des insulaires - personnes imaginairement idéales pour les Français de métropole - mais aussi des métropolitains dans leur rapport à l’île lointaine de la mer des Indes... L’importation dans l’univers sanitaire de la “nouvelle gouvernance” - de fait, surplus frelaté de la logique sanitaire libérale nord américaine -, après le PMSI et autres fredaines, illustre dans les mentalités bureaucratiques la persistance du colonialisme esclavagiste colbertien du premier genre. Quelle “Mauvaise Compagnie des Nouvelles Indes sanitaires et sociales” que cette entreprise qui vient faire fortune aux colonies sur le dos de la santé des Réunionnais.

Appel au peuple...

Le 20 avril dernier, une double page du “Monde” a été consacrée à la déclaration de 400 médecins des hôpitaux dénonçant l’état actuel des institutions et remettant en question la “nouvelle gouvernance”. (voir “Témoignages” du mercredi 21 avril). Le nouveau ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy, aurait parlé de gel ou d’amendements à cette mesure. Le combat ne fait que commencer.
Le 22 avril, “Le Monde” poursuivait dans ce sens par la publication d’un manifeste de praticiens et de chercheurs contre l’hôpital gestionnaire et productiviste.
Messieurs Victoria, Thien-Ah-Koon et Kichenin, présidents des Conseils d’administration des hôpitaux, maires et élus, savez-vous où vous avez engagé votre institution et la santé de vos concitoyens en signant le pacte de la “nouvelle gouvernance” ? Êtes-vous vraiment conscients du désastre que vous avalisez ? Souvenez-vous des effets de la politique de Jean-François Mattéi lors de la dernière canicule en France et de ses 15.000 morts...
Il n’est pas trop tard pour dénoncer l’inacceptable. Médecins des hôpitaux, médecins de ville, élus du peuple, usagers, mobilisons-nous et luttons contre ce scandale : il doit être rejeté par tous avec fermeté et d’une manière définitive... Le temps des gouverneurs esclavagistes a été aboli à La Réunion et ne saurait revenir sous une forme ou sous une autre...

Dr Jean-François Reverzy,
praticien hospitalier,
chef de service G.H.S.R.


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