Le statut international du récif de Clipperton - 2 -

Le titre de la découverte géographique du récif de Clipperton invoqué par la France

22 octobre 2006, par André Oraison

Deuxième partie de l’histoire du plus petit résidu de l’Empire colonial français dans la région du Pacifique, par André Oraison.

Pour fonder sa souveraineté originaire sur Clipperton, la France a invoqué en premier lieu le titre de la découverte d’un territoire sans maître.

L’argumentation de la France visant à établir sa souveraineté originaire sur ce récif corallien semble au premier abord confortée par la jurisprudence internationale qui considère qu’il faut tenir compte du droit international en vigueur à l’époque où a lieu la découverte d’un territoire sans maître pour apprécier la validité de ce titre juridique.

On doit ici faire une allusion appuyée à l’affaire de l’île de Palmas qui a opposé les États-Unis et les Pays-Bas à propos du statut d’un îlot du Pacifique. Ce contentieux a été tranché le 4 avril 1928 par l’arbitre suisse Max Huber, dans le cadre de la Cour permanente d’Arbitrage. Après avoir constaté que « le droit international a subi de profondes modifications entre la fin du Moyen-âge et la fin du 19ème siècle en ce qui concerne les droits de découverte et d’acquisition des régions inhabitées », la sentence arbitrale donne une solution de principe. En voici le contenu : « Un acte juridique doit être apprécié à la lumière du droit de l’époque, et non à celle du droit en vigueur au moment où s’élève ou doit être réglé un différend relatif à cet acte » (1).

De même, dans l’avis consultatif qu’elle a donné le 16 octobre 1975 dans l’affaire du Sahara occidental, la Cour internationale de Justice de La Haye estime qu’il lui appartient de répondre à la question de la qualification du territoire que constitue le Sahara occidental à la date critique, c’est-à-dire au milieu du 19ème siècle, « eu égard au droit en vigueur à l’époque » (2).

Dès lors, l’effet de la découverte de Clipperton par la France doit être déterminé par les règles du droit international coutumier, en vigueur dans la seconde moitié du 19ème siècle. Dès le 15ème et jusqu’au début du 19ème siècle, le titre originaire de la découverte géographique d’un territoire sans maître a pu être considéré comme suffisant, même dans l’hypothèse où la découverte n’était pas ponctuée par un acte de prise de possession officielle. Dans la sentence arbitrale rendue le 4 avril 1928, à propos de l’affaire de l’île de Palmas, l’arbitre unique Max Huber semble pour sa part avaliser cette thèse. Mais à partir du milieu du 19ème siècle, le titre de la découverte d’un territoire sans maître doit être accompagné d’une prise de possession officielle étatique, ce qui fut le cas pour Clipperton.

Dans le différend opposant la France et le Mexique, la sentence arbitrale rendue le 28 janvier 1931 par Victor-Emmanuel III - Roi d’Italie - a en effet reconnu l’effectivité d’une prise de possession réalisée par la France le 17 novembre 1858 dans le Pacifique, sur les ordres formels donnés par le Ministre de la Marine. Cette prise de possession comprenait essentiellement la rédaction par le lieutenant de vaisseau Victor Le Coat de Kerwéguen - en sa qualité de commissaire du Gouvernement français - d’un procès-verbal proclamant que « la Souveraineté sur l’île même à dater de ce jour appartenait à perpétuité à S.M. L’Empereur Napoléon III et à ses héritiers et successeurs ».

Cette déclaration a été faite non à terre mais à bord du navire de commerce “L’Amiral”, alors qu’il se trouvait « à environ un demi-mille de Clipperton ». La prise de possession de Clipperton a toutefois été complétée par une exploration des côtes du récif, une brève descente à terre pendant quelques heures de « quelques hommes de l’équipage » et, plus tard, un acte de surveillance.

Le Gouvernement de Paris peut ainsi se prévaloir du titre historique de la découverte d’un territoire sans maître - effectuée avec solennité le 17 novembre 1858 - pour asseoir la souveraineté originaire de la France sur le récif de Clipperton. Mais il invoque également - dès la seconde moitié du 19ème siècle - le titre subséquent de l’occupation effective de ce territoire sans maître (II).

(à suivre...)

André Oraison
Professeur de Droit public à l’Université de La Réunion (Université Française et Européenne de l’Océan Indien).

(1) Voir R.S.A., Volume II, p. 845. La sentence arbitrale du 4 avril 1928 est également reproduite in R.G.D.I.P., 1935/1. Voir notamment pp. 171-172.
(2) Voir Rec. 1975, pp. 38-39, paragraphe 79.


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Messages

  • Je relève une petite erreur du professeur Oraison, dans le dernier paragraphe de cet article. L’île Clipperton n’a pas été découverte en 1858, mais en 1711 par deux navires français. En 1858, le gouvernement français a seulement envoyé un navire sur place afin de proclamer l’annexion. C’est très facilement vérifiable sur Internet (références données).

    Comme dit le professeur Oraison, une découverte géographique suffisait juridiquement pour s’approprier un territoire jusqu’à la fin du 18e siècle ou le début du 19e siècle (environ 1800). Mais il valait quand même mieux que ce territoire soit occupé, avec un acte d’annexion bien établi ! Sinon, le territoire en question risquait de passer ensuite sous la souveraineté effective ou proclamée d’un autre État. Et celui-ci n’aurait pas forcément accepté un arbitrage international !

    L’île Clipperton a été découverte par deux navires français en 1711, mais aucun acte de souveraineté ne fut rédigé au 18e siècle. On peut donc considérer que la France avait perdu ses droits en 1858, lorsque Clipperton fut cette fois officiellement annexée. Lors du différend avec le Mexique sur la souveraineté de Clipperton, la partie française ne s’est référée qu’à l’acte d’annexion de 1858, pas à la découverte de 1711 !

    Les juristes italiens du roi Victor-Emmanuel III, désigné comme arbitre, ont finalement attribué Clipperton à la France (1931). Ils ont en effet estimé que la souveraineté française était aussi effective qu’elle pouvait l’être sur cette île, aucune administration ne devant y être installée en l’absence de population sur place. La flotte française du Pacifique exerçait par ailleurs une surveillance de l’île, très épisodique à vrai dire. Elle pouvait en tout cas détruire facilement toute installation indésirable sur Clipperton.

    On peut toutefois se demander si la souveraineté française à Clipperton était effective sans aucune mise en valeur de cette île. La France empêchait une souveraineté étrangère sur Clipperton, mais ne l’exerçait pas elle-même. Le Mexique ne serait-il dès lors pas mieux placé pour assurer la souveraineté effective de Clipperton, sa mise en valeur, compte tenu de sa proximité à cette île ?

    Ces prémisses m’ont amené à rédiger un nouvel arbitrage du roi Victor-Emmanuel III, accordant cette fois Clipperton au Mexique ! Ce n’est bien sûr qu’un exercice intellectuel, mais il n’est pas sans intérêt. Les internautes intéressés pourront en prendre connaissance dans mon étude sur la souveraineté des territoires français d’outre-mer revendiqués par d’autres États à un moment ou un autre. Voici un lien vers cet essai (pertinent ou non) : https://www.aht.li/3581231/OUTRE-MER.pdf – Les pages 27-32 concernent l’île Clipperton : historique, puis jugement arbitral. Mes sources Internet sont indiquées à la fin de cet essai.


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