Le droit des langues ultramarines - 1 -

Les langues régionales sacrifiées et dévalorisées

27 octobre 2004

Après son étude sur la citoyenneté outre-mer dans la République française, la juriste Altide Canton-Fourrat analyse la législation linguistique française relative aux langues régionales.
Avant de nous détailler la situation linguistique ultramarine, elle rappelle les mesures que la République a pris pour la protection du français, au détriment des autres langues du territoire de la République.

Dans sa politique d’intégration citoyenne, l’institutionnalisation des différences a longtemps déplu à la France. Si dans de nombreux pays, les constitutions admettent les différences culturelles et que des mesures constitutionnelles ou législatives à certains groupes sont prises (l’Espagne dont la constitution reconnaît de multilinguisme, le Canada ....), la politique linguistique française est pendant longtemps restée conforme au principe unitaire de la République.
L’article premier de la constitution pose, en principe fondateur, l’unité de la République. L’unicité implique l’égalité des citoyens français quelle que soit son origine ethnique, culturelle... La construction politico-juridique en faveur de l’assimilation linguistique a été constante et tend toujours à la protection du français.
Ainsi, l’article 2 de la constitution du 4 octobre 1958 modifiée par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 (1) dit que "la langue de la République est le français". Si le but de la modification était, selon toute vraisemblance, la protection du français contre l’omnipotence de l’anglais, majoritairement utilisé dans les relations internationales, notamment en Europe, elle ne semble pas favoriser l’épanouissement des langues régionales en France, encore moins en Outre-mer.
La loi “Toubon” (2) précise : "Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. Elle est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics. Elle est le lien privilégié des États constituant la communauté de la francophonie...".

Trésors linguistiques surprenants

Le français est donc la seule langue officielle reconnue. Toutefois, nous ne pouvons ignorer l’existence des langues locales qui demeurent des parties essentielles de la culture française.

En effet, il existe une kyrielle de langues locales dites "langues régionales" tant dans la France hexagonale que dans la France ultramarine.
En France hexagonale, les grands groupes de “langues régionales” sont les langues germaniques : l’alsacien, le francique, le flamand localisées au Nord-Est ; la langue celtique : le breton, au Nord-Ouest ; les langues romanes : les langues d’oïl (au Nord), le franco-provençal (Sud-Est), le catalan (Sud-Ouest), l’occitan (Sud) et le basque (Sud-Ouest).

La France ultramarine recèle quant à elle des trésors linguistiques surprenants. Ces langues régionales ne bénéficient que de mesures de protections juridiques tronquées, dès lors qu’une politique de langues régionales n’est pas une priorité en droit français et que la situation diversifiée des collectivités ultramarines ne facilite pas la tâche des pouvoirs publics.

Une acculturation forcée

L’absence d’un régime juridique approprié ne nous permet pas de donner une définition précise des langues régionales ou locales. Nous nous référons aux dispositions de l’article 1 de la Charte des langues régionales ou minoritaires (3). Selon cette convention, les langues régionales ou minoritaires sont, d’une part, les langues pratiquées traditionnellement sur un territoire d’un État par des ressortissants de cet État qui constituent un groupe numériquement inférieur au reste de la population de l’État et d’autre part, des langues différentes de la ou des langues officielles de cet État... cette définition n’inclut pas les dialectes de la langue officielle ni les parlers des migrants (4).
Le professeur Cerquiglini a proposé la définition suivante : "on entend par langues de France les langues régionales ou minoritaires parlées traditionnellement par les citoyens français sur le territoire de la République, et qui ne sont langue officielle d’aucun État" (5).
Au vu de ces définitions, les outre-mers français recensent des langues locales dites langues régionales et/ou langues minoritaires qui invitent le juriste à la réflexion et à l’analyse. Ces langues de mille sonorités sont le reflet de ces collectivités qui sont en pleine effervescence. Ces collectivités sont les départements ultramarins, les territoires ultramarins et les collectivités à statut particulier.

Les départements d’outre-mer, la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion, et la Guyane, qui, en 1946, du statut de vieilles colonies de la République sont transformées en départements ultramarins, sont également des régions. Ils sont assimilés aux départements métropolitains et sont, par conséquent, soumis au même régime juridique, sauf exception d’adaptation.
Les territoires d’outre-mer (la Polynésie Française, Wallis-et-Futuna) obéissent au principe de la spécialité législative. La Nouvelle-Calédonie, pays à souveraineté partagée, Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte sont des collectivités “sui generis” (uniques en leur genre).
Ces collectivités sont soumises au principe de spécialité législative. La Corse, collectivité sui generis, est, du fait de sa situation géographique insulaire, comprise dans notre étude.

Dans les collectivités ultramarines, la politique d’assimilation linguistique était de rigueur jusqu’à une période récente (6). Elle fut intense et constituait une acculturation forcée, par l’utilisation du français comme seule langue autorisée et l’interdiction de l’usage des patois locaux dans les administrations et autres lieux publics. Puis, cette assimilation s’est muée en indifférence : les populations locales pouvaient utiliser leurs jargons entre elles, sans aucun préjudice pour le français.

Les collectivités évoluent

Dans l’ensemble, les langues régionales ne bénéficient pas, en France, de mesure de protection ou de valorisation suffisantes, contrairement aux États européens. La loi Deixonne de 1951 n’autorise l’enseignement de ces langues que de façon facultative et dans des conditions très précaires.

Certaines collectivités, depuis les lois de décentralisation de 1982, ont entrepris quelques actions de promotion, mais celles-ci ne sont pas ouvertement encouragées par les administrations. En 1992, la modification de la Constitution française tendant à faire du français la langue de la République n’a pas favorisé l’expansion des langues régionales.

Toutefois, la coutume a la mémoire tenace (7). Les langues régionales ont continué de prospérer dans l’ignorance des pouvoirs publics. L’histoire de la protection de la langue française témoigne de la véracité de nos propos. L’expérience aidant, la nécessité d’apporter une réponse adaptée aux coutumes locales, prioritairement les langues régionales, objets de communication culturelle par excellence, est une nécessité. La réalité linguistique (8) est un signe porteur d’une différence à laquelle le droit se doit d’en aménager l’expression.

Le paysage institutionnel des collectivités ultramarines est en pleine évolution. La Nouvelle-Calédonie, collectivité à souveraineté partagée, est en phase de parvenir, sous certaines conditions, au statut de pleine souveraineté.
La Polynésie Française bénéficie d’une autonomie interne des plus renforcées. La Guyane quittera la liste des départements ultramarins pour devenir, sous peu, une collectivité territoriale d’une autre nature. Freiner l’usage des langues locales ne serait pas en adéquation avec l’évolution initiée. Par ailleurs, ces collectivités ultramarines font partie intégrante de la République française. La législation linguistique française relative aux langues régionales y est applicable sous certaines conditions. Nous analyserons le cadre de la protection juridique des langues régionales après recensement de ces dernières.

Langue officielle depuis 1539

Le "De Differentia vulgarium linguarum et Gallici sermonis varietate" de Charles de Bovelles (1479-1553) fut le premier livre, à notre connaissance, qui ait fait une étude scientifique sur les langues parlées en France. L’auteur intitule son livre "Des différentes langues vulgaires et variétés de discours utilisés dans les Gaules". Disciple de Jacques Lefèvre d’Étaples (1450-1536), humaniste, philologue de la Renaissance, l’auteur souligne qu’ "il y a actuellement en France autant de coutumes et de langages humains que de peuples, de régions et de villes".

Il rappelle la présence de peuples étrangers que sont les Burgondes, les Francs, les Bretons, les Flamands, les Normands, les Basques et les "Germains cisrénans". Il fait un inventaire des langues d’origine, les langues d’oïl, comprenant "les Lorrains, les Bourguignons, les Poitevins, une partie des Belges comme les habitants d’Amiens et de Péronne, les habitant de Saint-Quentin, de Laon et les Esses, les Parisiens, ceux du Hainaut". La société française est toujours témoin de cultures diverses, la diversité linguistique en est une vulgarisation.

Des tentatives de régulation juridique témoignent de la préoccupation des pouvoirs politiques en la matière. Ainsi, en 1539, en son château de Villers-Cotterêts, François Ier signa l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui stipulait que tous les documents de l’État devaient dorénavant être rédigés en langue française. Le latin est alors relégué en second rang.
Cet édit avait des vertus qui restent actuellement indispensables pour notre société actuelle. Il en est ainsi de l’obligation qui est faite aux curés de tenir un registre des naissances : donc, la naissance du registre d’état civil actuel.

Le français, souci d’harmonisation

Notre intérêt ici porte sur les articles 110 et 111. Le premier article dit : "Afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence des arrêts et nos cours souveraines, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement, qu’il n’y ait ni puisse avoir d’ambiguïté ou incertitude, ni lieu à interprétation". L’article 111 continue : "Nous voulons donc que tous arrêts et toutes autres procédures soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel français et non autrement". Ces dispositions ont été de toute évidence prises dans un souci d’harmonisation et de clarté. Le français est la langue officielle du Royaume et il ne pouvait en être autrement. Le latin, langue de l’église, n’était que secondaire.
Ainsi, l’État affirme sa supériorité sur l’Église. Le français demeurait malgré tout la langue de l’État, car la majorité de la population parlait un patois. Le français, langue de l’État, langue officielle mais également langue aristocratique, académique et bourgeoise.

Richelieu fonda l’Académie Française en 1635. Paris est alors le centre démographique de la France. L’élite se situe à Paris. Richelieu pouvait, ainsi, contrôler l’élite parisienne qui se distinguait de la masse populaire en créant un bon usage de français. Ses grammairiens se sont évertués à épurer la langue et à en faire une utilisation élitiste. L’Académie Française a continué la perfection de la langue française. La première édition de son dictionnaire fut publiée en 1694. Les gens du peuple qui totalisaient près de 99 % de la population continuaient à parler leurs langues culturelles "patois local". Louis XIV s’est contenté de consolider l’usage du français.

"Des idiomes très dégénérés"

La Révolution française a, de manière radicale, transformé ses plans. Pour elle, la langue doit véhiculer l’idée égalitaire et doit être utilisée par tous. Ceux qui refusent son utilisation doivent être considérés comme l’ennemi du peuple (9). La Terreur, par un décret du 20 juillet 1794, sanctionna la mauvaise utilisation de la langue française.

Le rapport de l’abbé Grégoire, publié en 1794, a démontré la nécessité d’imposer le français par des décrets rigoureux à travers toute la France. L’auteur pense que les patois régionaux sont des "idiomes très dégénérés" et qu’il convient, dans un souci d’égalité, d’en combattre l’usage. Il signale que les "nègres de nos colonies" parlent un idiome pauvre qu’il rapproche de la "langue franque".

Ainsi est venu à nos politiciens l’idée de créer une école primaire dans chaque municipalité. M. Talleyrand (1754-1838) fut le premier homme politique à se mettre à matérialiser cette idée. Il déclare que la langue de la constitution et des lois y sera enseignée à tous. Les dialectes, derniers vestiges de la féodalité, disparaîtront par la force des choses.

Au début du vingtième siècle, plus de quarante lois "protectionnistes" de français ont été votées (10), notamment relatives à l’enseignement, la presse, l’administration et l’orthographe. Afin de rendre plus efficaces les actions de francisation, l’Éducation nationale suggérait de nommer des instituteurs qui ignoraient tout des parlers locaux.

Peu d’intérêt pour les langues ultramarines

Toute cette entreprise n’était pas de taille à éradiquer les langues locales. Ainsi, le grammairien Ferdinand Brunot (11) affirma : "... à l’heure actuelle, le français est la langue des villes, le patois la langue des campagnes".

En 1972, Pompidou déclare : "Il n’y a pas de place pour les langues et cultures régionales dans une France qui doit marquer l’Europe de son sceau".

Le président Mitterrand, en bon stratège, avant son élection, dans un discours à Lorient en 1981, a annoncé son intention d’œuvrer pour la reconnaissance et l’incursion des langues et cultures de France à l’école et dans les différents médias.

Si les langues régionales de France, dans leur globalité, ont fait l’objet de contestations ouvertes et de réticence prononcée, les langues ultramarines ont toujours existé en marge de la République et n’ont fait l’objet de considération politique que locale et accessoirement. Dans les collectivités territoriales de la République française, les lois linguistiques sont, sous certaines conditions, applicables aux collectivités ultramarines.

La situation linguistique ultramarine peut être analysée de deux façons : dans les départements ultramarins et dans les territoires et autres collectivités ultramarines. L’analyse de la politique linguistique ultramarine suivra le même schéma.

(à suivre)


(1) Loi 92-554 du 25 Juin 1992 CC
(2) Loi 94-665 du 4 août 1994 dite loi Toubon - CC 94-345 du 29 juillet 1994
(3) Charte européenne des langues régionales ou minoritaires - Édition Conseil de l’Europe 1993
(4) Dominique Breillat - Revue Juridique themis vol. 35, N°3
(5) Rapport Cerguiglini — 1999 - Documentation française
(6) Décret N° 74-33 du 16 janvier 1974 - application de la loi Deixonne L 51-46 du 11 janvier 1951 relative aux langues régionales
(7) Jean Carbonnier - Flexible droit - Édition 1999
(8) Rémi Rouquette - Le régime juridique des langues en France - Thèse Paris X 1987
(9) Rapport BPI - Centre Pompidou, 1999, ISBN 2-84246-075-8
(10) http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/europe/france_politik_francais.html
(11) Ferdinand Brunot - Histoire de la Langue Française - CNRS Éditions 1926


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