Chômage : des chiffres “exacts”, oui...mais des chiffres justes ?

23 novembre 2007, par Alain Dreneau

« La baisse du chômage se poursuit et s’accentue », annonce l’INSEE. Les chiffres présentés semblent étayer cette affirmation. Mais celle-ci est-elle pour autant un reflet fidèle de la réalité de l’emploi à La Réunion, et de son évolution ?

L’INSEE Réunion vient de présenter ses chiffres du chômage dans l’île au 2ème trimestre 2007. Le rendu de son “enquête Emploi” sur son site Internet indique d’entrée qu’« à La Réunion, la baisse du taux de chômage amorcée depuis mai 2004 se poursuit et s’accentue. Entre le deuxième trimestre 2006 et le deuxième trimestre 2007, il a décru de 3,3 points. (...) La baisse 2007, particulièrement importante, se traduit par 10.800 chômeurs de moins ».
On trouve un peu plus loin les résultats de l’enquête : « La Réunion compte 75.900 chômeurs » et « A La Réunion, au deuxième trimestre 2007, le taux de chômage, « définition Eurostat », est de 24,2%. Il aurait été de 25,8% selon l’ancienne définition ». (1)
Si, comme le souligne à juste titre l’INSEE, ces chiffres reflètent une certaine embellie, il convient de faire accompagner un tel constat d’un certain nombre de remarques complémentaires, afin de se faire une idée aussi proche que possible de la réalité. Afin aussi d’éviter que les chiffres - certes non-réfutables, dès lors qu’ils sont générés par certains critères - n’obscurcissent l’analyse au lieu de l’éclairer.
C’est pourquoi il convient de s’attarder quelque peu sur ces “critères du chômage” qui régissent les résultats. De quoi s’agit-il ? Pour bien le comprendre, on rappellera tout d’abord que la définition du chômage retenue par l’Insee est celle du BIT (Bureau International du Travail) (2).

Des critères restrictifs

Selon le BIT, est chômeur toute personne (de plus de 15 ans) qui remplit les trois critères suivants :

« être sans travail » , c’est-à-dire ne pas avoir d’activité, même minimale, pendant la semaine de référence,

« être disponible pour travailler » , c’est-à-dire être en mesure d’accepter dans les quinze jours toute opportunité d’emploi qui se présente,

« rechercher activement un emploi » , c’est-à-dire avoir fait « des démarches spécifiques en vue de retrouver un emploi ».

Cette définition du chômage entraîne depuis des années des divergences de statistiques entre l’INSEE et l’ANPE, les critères de l’un étant tout à fait différents des critères de l’autre. Et l’on va voir que les interprétations de l’INSEE, qui sont donc celles du BIT, tendent à “rétrécir” les effectifs des chômeurs, donc à sous-estimer l’ampleur du chômage à La Réunion.

Premier exemple : « Être sans travail ». Un demandeur d’emploi, inscrit sur les listes de l’ANPE, ne sera pas considéré par l’INSEE comme chômeur, s’il a travaillé ne serait-ce qu’une heure au cours de la semaine de référence (celle de l’enquête emploi) ! D’un seul coup d’un seul, on fait passer à la trappe des quantités de chômeurs authentiques, qui présentent le “tort” d’avoir arraché quelques malheureuses heures de travail bien insuffisantes pour les faire survivre.

Deuxième exemple : « être disponible pour travailler ». Un demandeur d’emploi inscrit à l’ANPE n’est pas un chômeur au sens du BIT, et donc non considéré comme tel par l’Insee, parce qu’il n’est pas « immédiatement disponible », en raison d’une formation par exemple. Autrement dit, une jeune personne (ou une moins jeune) qui fait l’effort de se former pour être mieux armée pour rechercher un emploi, est automatiquement exclue du décomptage des chômeurs à la mode européenne, celle du BIT.

Troisième exemple : « rechercher activement un emploi ». Pour être considéré comme chômeur en bonne et due forme, il faut pouvoir faire état de « démarches spécifiques », d’« actes positifs de recherche d’emploi », comme avoir lu des petites annonces, contacté un employeur, passé un entretien, etc... Jusqu’à cette année 2007, le fait de s’être inscrit à l’ANPE faisait partie des démarches de recherche d’emploi reconnues, selon l’interprétation française (ce qui paraissait somme toute relever d’une logique élémentaire). Mais pas selon l’interprétation d’Eurostat (l’Office statistique des Communautés européennes).

Autrement dit, pour Eurostat, s’être inscrit sur les listes de l’ANPE (même dans la catégorie 1 des demandeurs d’emploi immédiat et à temps plein !) n’est pas considéré comme une « recherche active ». Et c’est ce critère européen qui vient d’être adopté par l’Insee Réunion, à partir de ce trimestre. Alignement “recommandé” par un rapport des Inspections générales des Finances et des Affaires sociales.

Chômeurs évacués

La nouvelle règle de décompte court-circuite ainsi les données statistiques dont dispose l’ANPE, pourtant au cœur du phénomène du chômage. Elle évacue un nombre non négligeable de vrais chômeurs réunionnais. Le directeur de l’INSEE-Réunion a indiqué les deux chiffres : selon l’ancienne règle, 25,8% et selon la nouvelle, 24,2%, soit une baisse (artificielle) de 1,6%. Et dorénavant on ne mentionnera même plus l’ancienne règle. (3)
Au-delà de ce lifting venu d’Europe, tendant à rendre plus présentable - pour qui et pour quoi ? - le visage de notre chômage, c’est bien l’ensemble des critères retenus - dont on a vu quelques exemples - qui vont, force est de le constater, toujours dans le même sens (4). Il faudrait y ajouter le fait que les statistiques officielles ne retiennent pas comme “chômeurs” les chômeurs des catégories 2 (Chômeurs immédiatement disponibles, cherchant un CDI à temps partiel), 3 (Chômeurs immédiatement disponibles, cherchant un emploi à durée déterminée (CDD), temporaire ou saisonnier), et 4 (Chômeurs non immédiatement disponibles, cherchant un emploi à durée déterminée (CDD) ou indéterminée (CDI), à temps plein ou partiel). Si beaucoup de ces demandeurs d’emploi ne s’appellent pas “chômeurs”, comment s’appelle le tour de passe qui les a rayés de la carte ?

Alain Dreneau

(1) Un peu de patience, lecteur, pour saisir ces subtilités...
(2) Voir l’article de P. David sur le sujet, dans “Témoignages” du 21 novembre 2007
(3) Promesse tenue ! La patience du lecteur aura été récompensée...
(4) La tentation de citer à titre de contre-exemple le fait que l’INSEE retient comme chômeur une personne qui accomplit des démarches de recherche d’emploi sans s’être inscrite à l’ANPE, ne mène pas loin, en termes quantitatifs ! Et c’était le “prix à payer” de ce désarrimage d’avec l’ANPE...


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