Aide à l’installation à La Réunion d’un résident de France ayant un projet professionnel dans notre pays

Le droit à l’emploi des Réunionnais à La Réunion n’est pas la priorité de Paris

4 novembre 2023, par Manuel Marchal

L’article 55 du Projet de loi de finances 2024 risque de susciter de nombreux commentaires. Il permet en effet à l’État de financer le billet d’avion et l’installation de n’importe quelle personne résidant en France et souhaitant s’établir à La Réunion sous couvert d’« un projet d’installation professionnelle », sur la base de critères qui restent à définir. Compte tenu du principe d’égalité inscrit dans la Constitution, il semble difficile pour le législateur de limiter cette aide à une catégorie de citoyens en fonction d’un lieu de naissance ou de liens familiaux. Si l’objectif du gouvernement est de favoriser le retour d’une diaspora pouvant favoriser le développement économique, la loi est-elle le meilleur véhicule ? Car à la différence de la Kanaky Nouvelle-Calédonie qui dispose de la citoyenneté liée au pays et de la durée minimale de résidence comme barrières aux recrutements exogènes par copinage, La Réunion ne bénéficie d’aucune protection.

Dans un communiqué diffusé ce 26 octobre, le député Jean-Hugues Ratenon alerte sur le contenu de l’article 55 du Projet de loi de finances 2024.
Cet article prévoit notamment d’élargir l’aide de l’État aux personnes vivant en France ayant un projet professionnel dans une des anciennes colonies intégrées à la République. Ceci concerne une aide au financement du billet d’avion, ainsi qu’une aide à l’installation. Les critères et les montants seront définis ultérieurement par décret. Ce projet ne fait pas de distinction selon l’origine, toute personne vivant en France est potentiellement éligible. Le député fait part de son indignation. Il craint que puisse se créer un appel d’air qui augmenterait la concurrence subie par les travailleurs réunionnais, déjà lourdement frappé par un chômage hors-norme.
D’où vient donc cette idée de Paris ?

Application d’une décision prise en CIOM sans consulter les Réunionnais

L’exposé des motifs du gouvernement se réfère tout simplement au Comité interministériel qui eut lieu outre-mer à Paris le 18 juillet 2023 (CIOM). Cette extension des aides au voyage à laquelle s’ajoute une aide à l’installation découle donc de décisions prises par des ministres dans un bureau à Paris, sans aucune consultation des peuples concernés qui vivent dans des continents éloignés de plusieurs milliers de kilomètres de l’Europe. Voici un extrait de l’exposé des motifs :
« Les dispositions nouvelles, de niveau législatif, décidées dans le cadre du CIOM sont au nombre de trois. La première porte sur un dispositif d’aide aux personnes résidant en France hexagonale (sic) dans leur projet d’installation professionnelle dans une collectivité ultramarine (dans une ancienne colonie intégrée à la République — NDLR). La finalité de ce dispositif est à la fois de permettre la venue de personnes ayant un projet professionnel en lien avec les besoins recensés localement mais également de favoriser le retour des ultramarins (re-sic) ayant effectué leurs études ou leurs premières expériences professionnelles en France hexagonale (re-sic). Les deux autres dispositions nouvelles sur un dispositif d’aide aux entreprises, l’un au titre des déplacements professionnels liés à des formations professionnelles qui ne sont pas proposées sur le territoire ultramarin (dans l’ancienne colonie intégrée à la République — NDLR) d’implantation du salarié de l’entreprise, et l’autre au titre de certains déplacements professionnels réalisés par les salariés ultramarins (re-sic) d’une entreprise ultramarine (re-sic) innovante pour le développement de cette dernière ».

Application mécanique du principe d’égalité

Il est nécessaire de ne pas perdre de vue une réalité : La Réunion est un département français. Le droit commun s’y applique donc selon le droit français en vigueur dans notre pays. Un des fondements de ce droit est inscrit dans la Constitution de la République française, État dont fait partie La Réunion : le principe d’égalité.
C’est donc sur cette base qu’un tel texte est possible. Venant de Paris, il était difficilement imaginable d’écrire un texte donnant, par exemple, une aide au voyage et à l’installation dans notre pays en la limitant à une catégorie de citoyens, sur la base de leur naissance à La Réunion ou de la preuve d’intérêts moraux dans notre île. Nul doute que le courant assimilationniste à Paris aurait tôt fait d’attaquer un tel texte au nom de l’irrespect du principe de l’égalité, et le Conseil constitutionnel lui aurait donné raison.

Aide pour les membres de la diaspora prêts à revenir sans être surrémunérés

Si cet article du projet de loi venait à être adopté, il légaliserait donc l’aide au retour des Réunionnais émigrés pour leurs études ou pour cause de chômage, et qui souhaitent revenir dans leur pays sans passer par un concours de la fonction publique. Cela signifie que ces Réunionnais sont prêts à accepter de rentrer au pays sans bénéficier de la surrémunération.
Dans ce sens, le financement partiel ou total du billet d’avion et l’aide à l’installation se comprend, puisque c’est le traitement dont bénéficient les fonctionnaires d’État nommés à La Réunion.

Aide pour les participants exogènes au Salon de l’emploi « outre-mer » à Paris ?

Mais la crainte est que ce dispositif renforce la tendance au recrutement exogène dans le privé par des sociétés exogènes, ou par des cadres de même nature ayant la main sur les embauches dans une société réunionnaise.
Il suffit de rappeler l’existence tous les ans à Paris d’un Salon de l’emploi « outre-mer », où des entreprises implantées à La Réunion recrutent leurs cadres pour travailler dans notre île, alors que les compétences réunionnaises pour occuper le poste sont sans doute nombreuses.
Malgré la situation de pénurie d’emplois que connaît La Réunion depuis 50 ans et les drames quotidiens que ce sous-développement provoque, ce comportement scandaleux ne sera jamais puni par la loi, au nom du principe d’égalité entre citoyens d’un même État, la République française.

Dans une autre collectivité de la République, le recrutement extérieur exception garantie par la loi

La Kanaky Nouvelle-Calédonie est aussi une ancienne colonie intégrée à la République. Mais la politique de l’emploi relève de la compétence locale. Dans le privé, toute offre d’emploi doit passer par un bureau de placement officiel. Ensuite, le recrutement extérieur est l’exception et ne peut se faire qu’après un constat de carence, faute de quoi l’entreprise doit payer une amende de 54000 francs Pacifique et relancer l’embauche. L’emploi doit d’abord être prioritairement pourvu par un citoyen calédonien, ou par une personne qui n’a pas le statut de citoyen mais qui peut justifier d’une durée minimale de résidence, variable selon l’emploi. Cette durée minimale atteint 10 années dans de nombreux métiers. Ceci permet normalement d’éviter le scandale des recrutements exogènes par copinage.
Pour le secteur public, l’accès à la fonction publique territoriale se fait par 2 concours. Le premier concours est réservé aux citoyens calédoniens, à ceux qui ont 10 ans de résidence, et éventuellement à ceux qui ont 5 ans, 3 ans voire moins d’ancienneté de résidence « selon les difficultés du recrutement local ». Le deuxième concours est ouvert à tous.

Les Réunionnais responsables de la politique de l’emploi à La Réunion ?

Le cadre des relations entre la Kanaky Nouvelle-Calédonie et la France n’est pas le même que celui entre La Réunion et la France. La Kanaky Nouvelle-Calédonie a droit à un titre spécifique dans la Constitution, La Réunion est l’ancienne colonie devenue département qui a le moins de compétences, en raison de l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution.
Si La Réunion n’est pas la Kanaky Nouvelle-Calédonie, il convient à minima de s’assurer que le prochain projet de loi de finances n’augmentera pas encore les difficultés pour faire respecter le droit des Réunionnais à travailler à La Réunion. Inciter des membres de la diaspora à mettre l’expérience acquise ailleurs au service du développement de l’activité économique du pays est une intention louable, mais la loi est-elle le bon véhicule ? Dans le cadre actuel, cet article du projet de loi de finances risque de faire monter le mécontentement légitime des Réunionnais vis-à-vis du sous-développement de leur pays en matière d’emploi.
Dans ces conditions, ne vaut-il pas mieux que les Réunionnais puissent assumer pleinement la responsabilité de la politique de l’emploi ? Ne seraient-il pas plus à même de fixer des règles plus efficaces que celles imaginées dans un bureau parisien situé à des milliers de kilomètres d’ici, par des personnes qui ne vivent pas La Réunion ? A l’État d’accompagner, plutôt que d’imposer sans consulter.

M.M.

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